Mardi 14 septembre 2021
Les deux filets de limande sont présentés dans une barquette sous cellophane sur laquelle on peut lire : « Limande pêchée dans l’Océan Pacifique Nord-Est. » Monsieur Sébastien recherche la date de péremption, 18 septembre, on est le onze, ça fait en tout et pour tout une semaine de conservation au frigo ! (Entre 0°C et + 4°C), Bingo !
Il vient de profiter d’une promotion exceptionnelle : une palette de limandes, arrivant tout droit de Rungis (c’est tout bête à dire, juste au moment où il passait), contenant des centaines et des centaines de barquettes vers lesquelles, les consommateurs, fascinés par ce trésor inespéré, venu de l’océan Pacifique, se sont rués et ont pioché dans le tas qui s’est volatilisé en un rien de temps.
Il s’éclipse dans un p’tit coin du supermarché pour lire les informations instructives mentionnées sur l’étiquette. Autour de lui, les consommateurs assagis sont partis en chasse vers d’autres rayonnages. C’est alors qu’il ressent une légère sensation de vertige en se remémorant ses pêches d’antan, au bord de la Loire. Il appâtait de bon matin avec de la pomme de terre mélangée à de l’œuf pourri, avant de lancer sa ligne au bout de laquelle gigotait un asticot. Et si c’était un bon jour, lui aussi était capable de sortir de l’eau, poisson sur poisson.
A l’intérieur de la barquette, emballage sous vide (Poids net : 200g), monsieur Sébastien aperçoit l’océan bleu-noir du Pacifique, des vagues houleuses et deux limandes enrichies en Vendée de farine de blé, de poudre de citron, de persil et curcuma, avant d’arriver jusqu’à son assiette.
Il les voit nager dans l’eau salée en compagnie de centaines et de centaines de milliers de poissons se dépassant les uns les autres, le nez tourné dans le même sens, il y a un mois peut-être… et ce bateau de pêche, aux aguets, qui a lancé ses filets gigantesques (est-ce un bateau du Croisic ou bien un bateau polonais de la mer Baltique ?)
L’étiquette de la barquette est un bonheur de petits mots rassurants écrits à l’usine de Vendée : « Malgré le soin apporté, la présence de quelques arêtes pourrait être constatée » Il lit encore l’identité d’un référent, écrit en tout petit, à qui il peut téléphoner si besoin est : « L’Assiette Bleue 85700 POUZAUGUES »
Ce n’est pas la première fois que Sébastien mange du poisson, même s’il ne l’apprécie que très moyennement à cause des arêtes pointues juxtaposées autour de la colonne vertébrale et qui peuvent, si l’on n’y prend pas garde, vous perforer dangereusement les gencives et le pire serait d’en avaler une maladroitement, car, qu’est-ce qui se passe si on en avale une de très piquante, l’arête n’est pas un élément solide, le tube digestif n’en a pas l’habitude, elle ne coulisse pas et peut rester accrochée quelque part. Pris de panique, on cherche à boire de l’eau pour la faire glisser ! Et au final, si elle ne veut pas se décoincer, qu’est-ce qu’on fait ?
Le 15 ! Faire le 15, le Samu, Sébastien ne voit pas d’autre solution.
Il chasse de son esprit cette pensée incongrue et se dépêche de rentrer à la maison où, à l’aide d’un couteau, il découpe le papier cellophane. Hop ! les deux filets de limande glissent sur sa table de travail. Ils semblent tout frais avec la belle odeur de l’enrobage meunière bio d’un poisson pêché dans les zones industrialisés de l’Amérique du Nord et transformé en usine.
Il met le four en préchauffage à 180°(th6), comme conseillé sur l’étiquette, (douze minutes), au moment où madame Sébastien rentre à la maison.
- J’ai une surprise pour toi ! chantonne fièrement Sébastien à sa femme.
- Oh, Basty, tu vas m’offrir un parfum ?
- Non-non-non, je nous ai achetés de la limande du Pacifique !
- Où ça ?
- Au supermarché de la Courance, tu sais…une promotion exceptionnelle de barquettes !