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Site littéraire

Le pique-nique

Monsieur Sébastien

" J'ai lu bien des choses et peu de choses me sont arrivées." Jorge Luis Borges 

Mardi 26 janvier 2021

 

  Confiance ! Confiance ! s’encourage monsieur Sébastien, après sa déconvenue au supermarché. Il est assis par terre, face au lac de la Courance où, vers la zone humide, flotte une colonie d’Aigrettes. De temps en temps, l’un des volatiles – flamboyant dans son plumet blanc –, s’élance vers le bois de Maurepas, avant de s’évanouir dans le fouillis des arbres.
  Confiance ! Oui, il faut se le répéter, prendre le taureau par les cornes, et ne pas hésiter à remonter jusqu’à la source des regards, écarter de soi l’angoisse de la découverte et s’en aller en quête de la beauté de l’âme, en guettant  l’expression des yeux du frère humain, son clin d’œil furtif, dû à une imperceptible contraction des paupières.

  Monsieur Sébastien, être d’essence solitaire, se dit, à part lui, qu’il n’y a pas plus merveilleux qu’un regard qui vous parle d’amour. C’est le seul qui compte. Les autres ne sont que le reflet d’une posture de vie indécise, on ne sait pas trop où se cache la personne qui le porte, mais (soyons un brin plus précis), Sébastien est assis sur une plage verte aménagée bordant le lac de la Courance. Un parfum plutôt sombre, avec une touche de menthe, monte des bords de l’eau ; nous sommes un dimanche matin de juillet, ciel bleu-vif, des gens s’installent pour le pique-nique et lui-même est dans l’attente de madame Sébastien partie faire quelques courses au supermarché.
 

  Des foules de pieds en tongue ou en basket enjambent monsieur Sébastien. Des familles « Bon enfant ! », équipées de glacières bleues, poussent en avant leurs progénitures piailleuses.
  Silencieuses, les Aigrettes ne réagissent pas au tohu-bohu. Elles ont l’habitude de ces dimanches matins où l’espèce humaine, contente d’elle-même, se fraie un chemin entre les coudes, les genoux, les jambes étalées. Chacun souhaite avoir son petit chez soi au bord de l’eau ; c’est que les places sont chères. Et madame Sébastien qui n’arrive pas.

  Un récipient, empli de croûtons de pains, vient d’être balancé au milieu des oiseaux blancs qui s’envolent pour se mettre à l’abri un peu plus loin sur le lac.
 
S’il a demandé à madame Sébastien de venir le rejoindre avant midi, il faut absolument qu’il lui garde une place face à cet envahissement. L’idée lui vient d’enlever sa veste de sport, son pantalon, ses chaussures, (le voilà en caleçon) pour faire savoir qu’à ses côtés, c’est chasse-gardée ! Et il a rudement bien fait, car un costaud basané à l’affût, le regard inquiétant, (à la limite hargneux) l’interpelle, en pointant du doigt ses habits recroquevillés sur l’herbe verte (il a du mal à le comprendre) : « C’est libre ici ? »
  Sébastien ne moufte pas trop face à cette masse de chair poilue. Il relève la tête d’un air qui laisse entendre « Non ! C’est réservé. » Ouf ! Le basané (ça a fait le tour) a compris qu’il s’agissait d’une place signalant l’arrivée imminente d’un proche.

  Ouh ! Ouh !, fait de loin madame Sébastien, en agitant un sac à provisions.

  Finalement, la réflexion contrasté de monsieur Sébastien relative à l’identification des regards se dissout, bousculée par ce déferlement. Il a juste le temps de se culpabiliser un peu – une vraie manie – se disant, j’aurais dû venir au bord du lac un lundi matin au lieu d’un dimanche matin, réfléchis la prochaine fois Sébastien, au moment où un ballon roule sur ses affaires. Qui l’a envoyé ? Personne ! Il le ramasse, tourne la tête, Oh !  Un délicieux petit bonhomme (dans les cinq six ans), s’approche, le sourire poli et, avec un regard d’une pureté solaire, lui demande : « S’il te plait monsieur, je pourrais avoir mon ballon ! »