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Un beau cadeau

Monsieur Sébastien

" J'ai lu bien des choses et peu de choses me sont arrivées." Jorge Luis Borges 

 

Mercredi 2 juin 2021

 

   Sur la photo, la Rolls-Royce blanche (louée par Allen Klein, le manager du célèbre quatuor), est immobilisée sur un chemin de terre avec des haies, des arbres et en arrière-plan des bâtiments gris.
 Les Fab Four se tiennent adossés à la voiture. John, le barbu, est appuyé contre l’aile avant et affiche un sourire farceur, calculateur, charmant (le genre amuseur public qui ne laisse jamais les gens en paix). A sa droite, George, les yeux pâles, porte des baskets grises et une veste élimée. Il n’a pas l’air dans son assiette, mais il a néanmoins l’attitude (et c’est important pour les fans) d’un Beatle propre sur lui (à l’image d’une jeunesse ivre de Let it be ou Yellow Submarine), qui n’attend qu’une chose, c’est de filer rejoindre sa guitare électrique.

  Monsieur Sébastien, à l’aide d’une loupe, ausculte avec méticulosité les Fab Four (Oui, George est loin d’être rayonnant, le photographe aurait pu lui demander de faire un effort, après tout, ils étaient payés), avant d’accrocher le cadre sur le mur au-dessus de son bureau et de ranger sa perceuse (ça n’a pas été très long, les mèches en carbure de tungstène ont été efficaces, deux trous, deux chevilles, mais quelle poussière sur l’ordinateur !)

  Un beau cadeau ! Ces jours derniers, madame Sébastien n’arrêtait pas de le titiller, l’air de rien, « Tu les aimes toujours les Beatles mon chéri, leur légende tombera en poussière comme la bibliothèque d’Alexandrie, mais tu les aimes quand même ? »
 Que répondre ? Il avait bien senti l’insistance de sa femme, mais pourquoi le bassinait-elle avec ses chanteurs préférés. « Ils ont marqué une époque », surenchérissait-elle encore, « On dit qu’ils étaient de bons guitaristes ! »
  
Madame Sébastien ne tarissait pas de louanges à leur égard et Sébastien se contentait d’émettre des « Oui ! Oui ! » d’approbation ou des « Ok D’accord ! », afin d’éviter l’incident diplomatique assez courant dans les ménages.
  
Un beau cadeau ! Oui, vraiment.

  Monsieur Sébastien, tout en rangeant sa perceuse, jette un regard à ses quatre idoles qu’il pourra contempler à loisir quand l’envie lui en prendra.
  
Paul à la droite de George, les bras croisés, est sage comme une image avec ses yeux d’enfant émerveillé. Quant à Ringo, c’est l’opulence, il plane, à moitié étalé sur le capot arrière de la Rolls-Royce.
  
Sébastien se gratte la tête, en quelle année, la photo a été prise ? Peut-être en 1969 à l’époque de Woodstock ?

  Le photographe de la maison de disques Apple a sans doute demandé aux Beatles, d’un p’tit air aguicheur et rusé « Placez-vous comme il faut les gars le long de la voiture ! John à l’avant le dos contre le capot, toi George tu te mets… Oh, et puis faites comme vous en avez l’habitude… Allez, cheese ! »
 
Sébastien s’imagine, qu’après s’être fait tirer le portrait, les mousquetaires de la pop-rock s’étaient installés à bord de la limousine blanche, John au volant, George côté passager et les deux autres à l’arrière débouchant un whisky Aberlour 18 ans d’âge ou allumant un pétard.

  Il les regarde avec tendresse, tout en époussetant son ordinateur, aujourd’hui ils ne sont plus que deux Beatles et demain, ce sera au tour de Paul ou de Ringo de s’en aller… « Et toi, peut-être avant eux ! », taquine madame Sébastien qui par télépathie a deviné sa pensée.