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Ciel ou ciel ?

Monsieur Sébastien

" J'ai lu bien des choses et peu de choses me sont arrivées." Jorge Luis Borges 

 

Mardi 18 mai 2021

 

Ciel ou ciel ?

   Monsieur Sébastien regarde à la télévision la retransmission de la fête religieuse de l’Ascension. Il a un peu de mal à imaginer cette formidable élévation de Jésus-Christ vers le Ciel, tout en comprenant les motivations du « fils de Dieu », qui n’a qu’une hâte (après les épreuves terrestres qui furent les siennes), celle de rejoindre son Père, après avoir salué ses copains les apôtres. La fête chrétienne est retransmise depuis une petite église belge, magnifiquement décorée. Un prêtre Africain, habillé de blanc, s’occupe de célébrer la messe avec entrain, en compagnie des fervents de Jésus-Christ qui chantent à l’unisson des cantiques de lumière et de joie.
En appuyant sur sa zapette, pour monter un peu le son, Sébastien se dit en lui-même, Bravo au fils de Dieu, il a fait le job, sans s’économiser, afin d’insuffler à ses frères humains un espace du possible : « Aimer son prochain comme soi-même » ; il n’est jamais trop tard, même s’il en a bien conscience, il sera toujours plus simple de s’aimer juste soi-même.

Quelques jours plus tôt, toujours à la télévision, Sébastien, la larme à l’œil, avait observé le décollage, à Cap Canaveral, de Thomas Pesquet vers le ciel, ce ciel que les ingénieurs de la NASA appelle communément l’espace, un espace infini où dérivent étoiles et nébuleuses au sein de galaxies insondables contrecarrées par des trous noirs au vide absolu.

Alors, Ciel ou ciel ?

Monsieur Sébastien s’est aperçu depuis quelques temps qu’il était en désaccord avec ce qu’on lui présentait, tout cuit tout ficelé, et là, il est dans un dilemme. D’un côté, il y aurait la possibilité du Ciel magique de Jésus-Christ, un Ciel déifié, où les âmes, après dépôt des corps, s’en iraient rejoindre les âmes déjà sur place pour une fête éternelle, et de l’autre, le ciel concret de Thomas Pesquet où, pour s’y élever en fusée, il a fallu à l’astronaute l’apprentissage des sciences, des années d’entrainement pour vérifier si son corps était apte à être transporté depuis l’écorce terrestre, jusqu’à une distance de 400 km au-dessus de la jolie planète bleue où la vie est un luxe.

Un peu dérouté, Sébastien ferme la télé. Il aimerait poser des questions à un de ses 725 amis de Facebook,  mais il se dit « A chacun sa vérité ! », que ce soit celle des adeptes de Dieu ou celle des adeptes de la Science, même si d’aucuns, n’hésitent pas à s’agréger sur les deux tableaux, précaution oblige !
Il aimerait échanger sur le sujet avec madame Sébastien en train d’en terminer face à sa coiffeuse avec ses peintures de guerre : « J’ai eu un mal de chien avec mon eye-liner, lui dit-elle énervée, le crayon s’est cassé, il était tout neuf et une fois de plus, tu ne m’écoutes pas, tu étais encore dans tes pensées. »
Monsieur Sébastien n’est pas homme à filer doux, mais côté maquillage, il préfère la discrétion.
« Je regardais la télé !,  se contente-t-il de répondre, le son était un peu fort et malheureusement…
- Donc, tu ne m’écoutais pas ! »

Ah, l’harmonieuse vie des couples !
Dans la tête de Sébastien, il y a une équation à résoudre, celle du carburant des deux surdoués.

D’un côté du signe égal, mettons à gauche le Carburant d’Elévation de Jésus : Le don de soi avec un grand D, la Foi, l’Absolue, celle de l’Etre ayant réussi la mise à distance de son scaphandre à souffrance.
De l’autre côté du signe égal, d’énormes réservoirs d’hydrogène et d’oxygène, le carburant d’élévation de Thomas. 

A y regarder de près, tout en célébrant l’exploit des deux hommes, Sébastien finit par se demander si au fond, la meilleure élévation possible ne serait-elle pas celle de rêver et de croire en soi ? Je ne suis qu’un passager de la vie, songe-t-il encore, tandis que madame Sébastien file au centre commercial s’acheter un crayon eye-liner.