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Les broussailles

Monsieur Sébastien

" J'ai lu bien des choses et peu de choses me sont arrivées." Jorge Luis Borges 

Mercredi 2 décembre 2020

   

   Lors d’une promenade autour du lac de la Courance en bordure du bois de Maurepas, monsieur Sébastien repère un homme. Ou plutôt, son regard filtre de loin un incident dans le paysage, à travers une vision normale et apaisée des reflets de l’eau entremêlés de soleil.
   Cet homme, selon son regard, n’est pas un promeneur à caractère sportif, armé de bâtons de ski nordique, il n’est pas non plus un de ces flâneurs tenant son chienchien en laisse, voire un vététiste. Il ne semble pas subversif et Sébastien en déduit qu’il ne fait rien de mal. Au centre d’un amas de broussailles, l’inconnu défriche.

   Là, arc-bouté à une racine de ronces résistante, qu’il veut à tout prix extraire de la terre où elle est profondément ancrée, il tire… tire… bascule sur les fesses, la racine entre les mains.

   Pourquoi fait-il cela, se demande Sébastien ? A-t-il un plan ? Est-ce une initiative réfléchie ? Il n’a pas l’allure d’un forestier. Pas de tronçonneuse déposée au sol, de bâche ou de petits outils ; pas de camionnette garée à proximité. Roi de la forêt, les mains gantées, chaussé de bottes et armé d’un sécateur, il coupe les broussailles au pied : ronces, fougères desséchées; nous sommes à l’automne et la nature tire un dernier feu d’artifices de couleurs avant de s’en aller vers l’hiver.

   Décidé à entamer la conversation, Sébastien s’approche de l’inconnu :
« Alors, on débroussaille ? 

   L’homme tourne la tête, la réponse tarde à venir.
  - 
Ça pourrait prendre feu !
  - 
Je vous ai aperçu de loin ! 
  - Vous avez vu les ronces et ces fougères-là, il suffit d’une allumette et tout prend feu.

   Ses yeux sont étranges, à peine percevables derrière la cloison de ses lunettes sales.

  - Je suis à la retraite ! 

   Silence.

  - Regardez  ce qu’on trouve caché sous les ronces ! 

   Sébastien aperçoit un sac plastique assez fin, presque transparent, débordant de déchets humains. Mais l’homme ne fait pas de commentaire, il dit simplement qu’il va prendre le sac et l’emmener jusqu’à une grande poubelle qui se trouve à l’entrée du lac de la Courance.

   L’homme effleure juste :
  - 
C’est dommage ! »
   Il désigne un arbre mort, pas très gros, mais encombrant, qu’il a déniché sous les broussailles.

  - Il me faudrait une scie pour le couper et l’évacuer. 

   Sébastien se remémore le massacre des arbres, lors de la tempête du 26 décembre 1999. Il se dit que le bois de Maurepas est peuplé de quelques-uns de ces restes végétaux. Des promeneurs passent sans se préoccuper de ce chantier de forestier du dimanche.

   Sébastien pressent que l’inconnu va entrer dans l’explication de son travail et amorcer les confidences. Il se retient de lui laisser entendre : « Regardez autour de vous, sur ces centaines de mètres, il y a des arbrisseaux et des risques d’incendie, vous n’espérez tout de même pas avec votre sécateur, défricher le bois de Maurepas tout entier, il y a des hectares monsieur ! »
   Il comprend finalement que l’homme n’est en fin de compte que le reflet de ses propres incertitudes. Que la connaissance de son prochain a ceci de particulier : elle passe nécessairement par la connaissance de soi-même. Or, Sébastien ne s’aime pas et a toujours fait en sorte d’être à l’écart de ses semblables. Il décoche à l’homme une de ces petites phrases toutes faites.

   - Bonne continuation !

   Il entend, passant son chemin :

  - Pour l’arbre mort, je le signalerai aux Eaux et Forêts…