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Chronique d'Armand B. 

  "Ce ne sont pas les choses que je juge les plus importantes à noter qui figurent sur ce cahier, mais celles, qu'à de trop longs intervalles, il me prend la fantaisie ou le désir de fixer. Si j'avais plus de complaisance pour moi-même et mes pensées, si je m'appliquais comme tout bon littérateur à ne 'rien laisser perdre', je couvrirais bien une de ces pages par jour." Charles Vildrac in Pages de journal

Mercredi 2 septembre 2020

 

Le Petit-Montrouge

  Je m’apprêtai à m’installer à la terrasse de l’Éphémère, face à Saint-Pierre de Montrouge. A quelques chaises de moi, se tenait une voisine de mon immeuble avec laquelle j’échangeais parfois des saluts et de brèves paroles. Pour ne pas paraître inconvenant, je me dirigeai vers elle et lui proposai de m’asseoir à sa table – elle était seule. Après un échange de courtoisie, elle glissa sans trop d’hésitation dans la confidence. J’appris ainsi, sans l’avoir demandé, qu’elle avait rencontré son futur époux dans l’établissement où nous nous tenions. « Le plus curieux, ajouta-t-elle, c'est au Bouquet d’Alésia, sur le trottoir opposé que mes parents se sont, eux, rencontrés. A cette époque tout le monde se connaissait dans le quartier. Les samedis soir, devant un orchestre improvisé, on dansait sur la place que vous voyez là embouteillée jusqu’au goulot… vous imaginez ça ? » Je regardai septique l’amalgame d’autobus, de voitures et de deux roues qui sans cesse tournait autour du rond-point. Personne n’oserait aujourd’hui se risquer à traverser hors des clous, alors danser sur ses pavés… Elle me parla d’autres vestiges de notre quartier, ceux qui avaient survécu jusqu’à nos âges et ceux à présent disparus.

  J’aime mon quartier et j’avais du plaisir à l’écouter, tout en sachant qu’avec le temps on recouvre d’une certaine affabulation glorieuse le passé. J’aime mon Petit-Montrouge, j’y ai vécu une bonne partie de ma vie d’adulte. J’aime retrouver dans mes lectures, les passages qui se déroulent à Montrouge (c’est ainsi, qu’à la fin du XIXe siècle et début du XXe, on nommait notre quartier. On disait : je vais à Montrouge, comme nous disons aujourd’hui Passy ou Auteuil.) Pour moi notre gloire nationale, est évidemment l’écrivain Henri Calet ; notre emblème le Lion de la place Denfert-Rochereau que Michel Audiard (un natif du quartier) qualifiait de « très laid… pour éloigner le touriste… » Nous n’avons pas encore de drapeau, mais nous n’oublions pas que nous avons grand ouvert la porte et l’avenue d’Orléans, à la Division Leclerc venue, drapeaux tricolores déployés, libérer Paris. Nous avons aussi accueilli la mémoire de Jean Moulin en lui offrant une avenue et une station de tram.

  Parfois, je me désole de voir défigurer Montrouge, comme récemment la façade des années 50 du cinéma Gaumont proche du Bouquet, où les parents de ma voisine se sont connus. Elle fut détruite pour être remplacée par un enchevêtrement de plaques métalliques grises semblables aux grilles qui recouvrent les fosses d’aérations du métro, et les publicités lumineuses qui tentent d’égayer sa grisaille n’y changent rien.

  Mon regard s’attardait sur cette sorte de terminal de gare, lorsque la voix de ma voisine interrompit ma rêverie : « Vous ne trouvez pas, qu’il est différent ici, l’air ? » et elle se mit à inspirer une large bouffée de l’invisible matière. Je l’observai incrédule et l’imitai pour trouver un argument qui confirmerait son jugement. « Moi, poursuivit-elle, dès que je reviens d’un voyage, dans le quatorzième et plus spécialement au Petit-Montrouge, je devine que je suis chez moi. Et même, vous allez rire, lorsque je reviens d’un autre quartier… de le Cité… des Champs-Élysées… de Montmartre… Les yeux fermés, en un coup de nez, je sais que je suis de retour. » Je restai muet en me demandant ce qu’avait de différent l’air plus ou moins chargé de gaz de pots d’échappement que nous respirions, avec celui respiré ailleurs, dans d’autres quartiers. Elle avait dû remarquer mon embarras et me dit « Ne vous fatiguez pas, vous ne pouvez pas comprendre, je vois bien que vous n’êtes pas complétement d’ici. »

 

 

 

 

 

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La façade du Gaumont Alésia avant sa destruction

 

 

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