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Les plumes fauchées - Louis Codet

Louis Codet 1876 - 1914

Par JEAN VIOLLIS

Louis-Romain-Jean-Pierre Codet est né le 8 octobre 1876, à Perpignan, 12, rue de la Cloche-d'Or; une autre rue de cette ville porte son nom. Louis Codet sortait d'un père limousin et d'une mère roussillonnaise. Les Limousins ont le sens solide et une vigueur qui est près de la terre, Les Catalans sont sensuels, ardents, amis de la grappe, du soleil et des couleurs. Codet avait aussi dans les veines du sang de l'Albigeois, pays qui sut souffrir pour l'amour de sa liberté, et un peu de sève gasconne. De 1886 à 1891, il suivit les cours du collège de Perpignan, puis termina avec honneur ses études, à Paris, au lycée Condorcet. Il devint docteur  en droit, sans enthousiasme. Il se mit également à peindre, mais n'eut garde d'en faire sa carrière, car il aimait cet art.

Louis Codet appartenait à une famille parlementaire, il fut député à son tour, pendant un an ; une élection partielle l'avait envoyé à la Chambre en 1909, mais, en 1910, les électeurs de Rochechouart ne renouvelèrent pas son mandat, lui reprochant d'avoir écrit un roman dont l'intrigue est à Montmartre. Il. flaira aussi le monde de la littérature; ce fut pour s’en écarter vivement. Mépris ? Pas même, mais il avait, comme dit Stendhal, « un de ces cœurs de fabrique trop fine qui ont besoin de l'amitié de ce qui les entoure». Aussi vécut-il dans un cercle de plus en plus resserré. Quelques rentes lui assuraient l'indépendance. Il écrivait, peignait, voyageait quand il en avait envie, il prenait ces plaisirs comme ceux de l'amour et de la table. C'était un frère puîné de La Fontaine; il aimait la volupté, la fantaisie, la compagnie des femmes, était gourmand, généreux, bon ami, vivait sans contrainte, jugeait sans aigreur et pratiquait la liberté sans la refuser aux autres. Il avait horreur des gens à système et des moralistes en particulier. Ses écrits ont mis en colère des cagots et d'autres qui ne croyaient pas l'être. «Voilà une pierre de touche. disait-il, je suis sûr à présent qu'il y a quelque chose de bon dans mes livres ! » Il détestait les auteurs graveleux autant que les prêchiprêchas, Son goût lui tenait lieu de tout, l'éloignait de ce qui est bas, dégradé, vil. Sans le vouloir, sans le savoir, il mettait de la dignité dans sa vie, comme de l'élégance dans ses phrases: il vivait, parlait, s'habillait dans la même note. Enfin l'on ne découvrait en lui rien qui ne fût simple et franc.

Tel le trouva la guerre. Il partit le deuxième jour, avec les Limousins du 90e territorial. Le 4 novembre 1914, des éclats d'obus l'atteignirent gravement au cou, au pont de Stenstraate, en Belgique. « Un infirmier, écrit son frère Paul Codet, parvint avec ses doigts à arrêter l'hémorragie. Le bombardement était si violent qu'on ne put le secourir autrement. Lorsque, après plusieurs heures, on put revenir vers lui, le croyant mort, ses hommes le trouvèrent assis, très pâle, mais fumant sa pipe. Il venait depuis très peu de jours d'être nommé sous-lieutenant. Il dit à son capitaine : « Je crois que j'ai bien arrosé mes galons ! »

Du Havre, où il fut transporté, il écrivit à ses amis: « Je mange, je fume, je sors, c'est fini, je suis guéri. » Quand ces mots leur parvinrent, il était mort, un anévrisme de la carotide l'avait enlevé le 27 décembre, au lever du jour. Il est inhumé à Saint-Junien, dans la terre limousine. Il avait reçu la croix de guerre et la Légion d'honneur à titre posthume.

Codet occupait dans le quartier de Passy un petit appartement au cinquième étage, où l'on trouvait de tout, sauf de vilaines choses : des estampes anciennes, des toiles de Jouy, des pots à beurre de son pays, des vases chinois du IIe siècle et des ostensoirs espagnols. Il vivait beaucoup au Bois de Boulogne, en rapportait des aquarelles pleines de fraîcheur et de variété, il a noté aussi des paysages catalans et des vues d'Espagne ; un portrait de sa grand'mère, qu'il fit à quatorze ans, un autre de Pierre Camo, peint vingt ans plus tard, montrent sa façon qui était sobre et pénétrante. .

Jamais il ne songea à faire connaître ses peintures, et il avait presque aussi peu de souci de ses romans. Celui-là ne fatiguait pas les éditeurs ! Le plaisir d'écrire lui aurait suffi, - plaisir, entendons-nous : Cadet écrivait avec un soin extrême; sa langue est des plus châtiées, il en connaissait toutes les ressources et les mettait en œuvre avec un désir de perfection dont ses amis furent témoins. Peut-être n'eût-il pas publié ses livres, mais c'était l'usage. Nul n'avait plus d'éloignement pour les conversations littéraires. D'ailleurs, la comparaison des bons crus de Bourgogne ou des recettes culinaires des régions qu'il avait visitées, l'intéressait autant que Racine, Voltaire ou Renan, ses auteurs préférés.

Il y avait quelque chose d'ailé dans ce gros et vigoureux garçon ; de loin il semblait lourd, de près il était la grâce même ; son sourire était délicieux et sa voix avait un ton fin et caressant ; non seulement il parlait une belle langue, mais il la prononçait avec une pureté d'accent qui donnait du charme à tout ce qu'il disait. Cette aisance de façons, cette facilité à plaire, sa justesse d'esprit ainsi que son humeur indulgente, faisaient que ses amis étaient heureux de l'entourer. Codet recherchait la gaîté et plaisantait comme pas un, jusqu'au moment où l'esprit repliait ses ailes ; quand il laissait voir le fond de lui-même, on apercevait le cruel serpent couché sous les fleurs.

Peu de temps après la mort de notre ami, je me trouvais avec un vieux monsieur, toqué de l'Angleterre et des Anglais, qui distillait des betteraves sous les canons allemands, et il lui advint de citer une parole de Locke sur « ce divin sens de l'humour qui fait briller un arc-en-ciel à travers les larmes du monde. » Otez humour qui n'est pas de notre langue, et la sensibilité de Codet se peint à merveille dans cette phrase.

Il n'avait pas eu de peine à se dégager des procédés naturalistes qui alourdissaient le roman à l'époqùe où il commença d'écrire. Il avait retrouvé, de lui-même, une forme leste, rapide, qui se prête à la fois aux vivacités de l'esprit et à toutes les nuances du sentiment. Il avait un instinct beaucoup plus sûr que nos tâtonnements, il allait droit où nous ne sommes pas sûrs d'arriver.

Il n'a publié en librairie que la Rose du Jardin et la Petite Chiquetle. César Capéran et la Fortune de Bécot ont paru après sa mort. Mais il laisse, soit en tiroir, soit en fascicules de revues comme la Vogue, l'Effort, les Marges, la Clavallina, la Cité d'Art, des poésies, un roman, des pièces de théâtre, des nouvelles, des études d'art, des impressions de voyage; des lettres. Tout ce qui est sorti de sa main mérite d'être connu. Quand ces publications seront faites, nous aurons une idée plus complète de ce talent si nuancé, si spirituel, si humain; et l'on commencera de voir monter la figure de Louis Codet Sous l'arc-en-ciel qui brille à travers les larmes du monde.


Extrait de La fortune de Bécot de Louis Codet 
Éditions de la Nouvelle Revue française (Paris) - 1921

CHAPITRE PREMIER

Où Madame Tixador apprend une effrayante nouvelle.

 — Je crois que nous allons tous périr, ma pauvre Amélie ! dit Mme Tixador. Pour moi, je brûle, je rôtis, j'étouffe et je me consume. Il me semble que je passe la mer Rouge, et jamais je n'ai tant envié les grandes dames des colonies, qui se promènent toutes nues dans leur jardin et qui ont douze nègres pour les éventer !

La jeune servante Amélie, qui ôtait le couvert, sourit et ne répondit point. Mme Tixador, soufflant et s'éventant, s'assit dans son fauteuil, près de sa fenêtre.

Cette grande salle à manger pavée de mosaïque, avec son haut plafond, ses meubles sombres, était la pièce la plus agréable en été ; Mme Tixador s'y tenait d'ordinaire.

La tête couronnée de ses nattes grisonnantes, amplement vêtue d'une robe de chambre à rayure noire, qu'une grosse améthyste fermait sur les seins, elle soufflait, seule, et majestueusement ; elle épongeait, de son mouchoir, la sueur qui coulait autour de son cou ; et, de sa main dodue, parée de diamants anciens, elle agitait régulièrement un large éventail espagnol, où luisaient les habits dorés des petits toreros.

Par l'entrebaillement des volets, elle regardait dans la rue, où ne passait personne. Cependant elle vit venir lentement au soleil, un homme en blouse et qui portait une échelle double. Il s'arrêta en face, établit son échelle, et il y grimpa.

Mme Tixador comprit ce qu'on faisait : on changeait le nom de la rue. Car le Conseil municipal, étant composé de radicaux, avait dernièrement épuré par un vote toutes les voies de la ville. Ainsi la vieille rue des Trois-Rois, où se trouvait la maison Tixador, était devenue soudain la rue des Trois-Journées, pour commémorer non l'histoire des Mages, mais les événements de 1830.

Mme Tixador, dans son indignation, détourna les yeux et tordit la bouche, posa sur ses genoux ce qu'elle tenait dans ses mains, et leva en l'air les deux bras.

A ce moment la porte s'ouvrit, et entra son fils Gilles, avec la petite chienne Perlette qui folâtrait entre ses jambes.

Mme Tixador, heureuse de voir quelqu'un, faisait doucement grouiller en l'air tous les doigts de ses petites mains roses.

— Gilles, dit-elle, que ne suis-je un homme ! Que ne suis-je un homme, mon enfant ! Je ne sais de quoi je serais capable, pour nous débarrasser de cet ignoble maire !... Ainsi, j'aurai vécu dans la rue des Trois-Rois, et par la volonté de ces gens, je n'y mourrai point ! Encore faut-il être bien contents qu'ils n'aient point nommé cette pauvre rue la rue des Trois-Diables : sans doute, quelqu'un aura cette idée ; c'est pour l'an prochain !

A ces mots, le jeune homme se mit à rire franchement : — Va, maman, ne te fais donc pas de mauvais sang ! Je parie bien que tous les gens de Perpignan continueront de lui donner son ancien nom, à notre rue... Anaïs m'a dit qu'on avait porté des fruits de la campagne ?

Il alla ouvrir le buffet, s'accroupit et prit une pêche et y mordit à belles dents.

— Ah ! Ferme, ferme le buffet, mon enfant ! Ferme vite !... Ignores-tu que les mouches sont en cette saison d'une voracité sans égale ?

Gilles, mordant toujours, revint jusqu'à sa mère et lui tendit la main :

— Maman, pourrais-tu me donner mon mois ?

Mme Tixador fouilla dans sa poche, et en retira son chapelet, son trousseau de clés, puis sa bourse.

— Que tu es beau, Bécot ! fit-elle complaisamment. Où vas-tu ? Cette cravate rouge te sied bien. J'aimais le rouge, aussi, quand j'étais à ton âge...

Mme Tixador rappelait volontiers que son fils Gilles lui ressemblait ; et il lui ressemblait en effet ; mais il faut s'entendre.

Mme Tixador, grande et majestueuse, avait dû être dans son temps une de ces femmes qu'on qualifie de belles statues. Elle représentait maintenant quelque grasse et riche matrone. Ses tresses, qui la coiffaient d'une sorte de turban, ses sourcils épais et arqués, ses larges yeux, ses pommettes pleines de sang, son profil de médaille et son menton de galoche, et les étages de son cou, de sa poitrine et de son ventre : tout chargeait, tout ornait sa superbe personne. Cependant, et par un caprice de la nature, à l'extrémité de ses bras, qui étaient fort courts, cette femme monumentale montrait de petites mains fines, roses, satinées, potelées ; et l'on découvrait aussi qu'elle aboutissait à de tout petits pieds.

Mais le jeune homme était d'une correction frappante, d'une grâce extrême ; il restaurait dans sa pureté le plus joli type méditerranéen. Ses cheveux bouclés ombrageaient son front ; ses beaux yeux noirs, sans profondeur pensive, s'ouvraient ainsi que les beaux yeux des animaux ; et son hardi sourire, sur sa lèvre frisée, semblait la chose la plus fraîche que l'on pût voir. Et, quoiqu'il fut d'aspect leste et athlétique, il conservait dans ses mouvements une certaine nonchalance, un air paresseux et sauvage, qui lui donnait au plus haut point le charme des jeunes méridionaux.

Mme Tixador, à côté de son fils, faisait donc l'effet d'une caricature...

Bécot tendait la main ; Mme Tixador y déposa soixante francs, trois louis d'or. Elle dit :

— Voilà ton mois. Où t'en vas-tu, Bécot ?

— A la mer, maman, avec des camarades ; on doit se baigner. Et toi ?

Elle répondit qu'elle sortirait sur le coup de six heures, qu'elle passerait acheter des gâteaux pour les apporter chez sa fille : on y dînait ce soir ; que Bécot ne l'oublie pas !

— Ah ! reprit-elle, mon enfant, le choix de ces gâteaux me tourmente excessivement. La dernière fois, les Néluskos n'étaient pas frais : quel ennui ! C'est de la crême au beurre. On ne saurait avoir de bon beurre au mois de juillet ; il faut se résigner à tout. Je prendrai seulement des croquants chinois et quelques Jeanne d'Arc ; toi, qu 'en penses-tu ?

Mais Bécot, levant l'index, montra par la fente des volets une femme vêtue de noir et qui s'avançait à grands pas.

— Maman ! Je file ! dit-il plaintivement. Voilà Mme Bona- fous ; elle vient sûrement ici en visite !

— Pourquoi te sauver, mon fils ? Ne peux-tu saluer Augusta Bonafous, qui est une de mes plus vieilles amies ?

— Ton amie ? Tu exagères, maman. Tu sais bien que non, et qu'elle n'aime personne. C'est une vieille avare ; elle me répugne. Elle ne mange que des choses gâtées, et elle se fait des pantalons avec ses vieilles nappes : sa fille Claire elle-même me l'a dit.

— Tu es incroyable, Bécot ! s'écria Mme Tixador.

Elle tressautait légèrement et riait d'aise, tout entière, en son fauteuil... Bécot était sorti sur la pointe des pieds.

On sonna, et, en effet, Mme Bonafous entra ; elle soufflait fort ; elle avait dû marcher très vite. Son visage jaune et tout osseux était reluisant de sueur, sous sa capote de taffetas ornée de vieilles giroflées.

— Augusta, vous m'avez fait peur, lui dit Mme Tixador. Il faut du courage pour braver ainsi les insolations. Je vous avoue que j'ai été saisie, quand je vous ai vu tourner dans la rue ; et j'ai craint que quelque malheur ne fût arrivé.

Mme Bonafous leva sa longue main jaune, aux ongles noirs, et gantée d'une noire mitaine ; puis elle la reposa sur le manche argenté du vieux parapluie qui lui servait d'ombrelle, qu'elle avait couché sur ses genoux. (Fin de l'extrait)

 

Couverture des ecrivains 14 18  Aux Trompettes Marines, nous aimons, sans doute l’avez-vous déjà remarqué, fouiller les arcanes du passé littéraire et en ressortir, à l’occasion, tel ou tel déshérité.
  Là, nous venons de faire une découverte extraordinaire. Un ravissement nous étreint, que nous aimerions vous faire partager.
  En 1924, à la bibliothèque du Hérisson, paraît une fabuleuse anthologie, dirigée par Thierry Sandre (Prix Goncourt 1924) l’ANTHOLOGIE DES ECRIVAINS MORTS A LA GUERRE. Cinq tomes, 1500 pages relatives à près de 700 hommes de plume, confirmés ou en herbe, tombés sur le champ de bataille. Certains sont déjà honorés, comme les célèbres Péguy, Fournier… d’autres, moins avancés, élaborent, tels Pierre David, Georges Mercié, André Puget, présenté par Claude Farrère (Prix Goncourt 1903) des écrits gorgés de promesse.
  Leurs affinités littéraires étaient éclectiques. Nombre étaient poètes, romanciers en herbe, ou auteurs dramatiques, épistoliers, géographes, journalistes… et leur vie bascula brutalement dans la mort par le fait d’une balle ou l’éclat d’un obus.
  Nous avons intitulé cette rubrique : Les plumes fauchées et nous reproduisons intégralement le texte de l'anthologie sans y apporter aucune modification. 

  Ils aimaient taquiner la Muse et des sentiments de fraternité, de vaillance, et de sacrifice les associèrent en des liens indicibles le temps de la « Grande Guerre 14-18. »


         Louis codet

Carrière politique

Mandats électifs :
Député de la Haute-Vienne du 21 février 1909 au 31 mai 1910 (Gauche radicale1).

Œuvres :

  • Un apprentissage (1903, publié en 1926 sous le titre Louis l’indulgent)
  • La Rose du jardin, 1907
  • La Petite Chiquette, 1908
  • César Capéran, 1918
  • La Fortune de Bécot, 1921
  • Voyage à Majorque, 1925
  • Louis l'indulgent, 1926
  • Poèmes et chansons, 1926
  • Lettres à deux amis (Eugène de Montfort et Louis Bausil), 1927

Éditions récentes :

  • César Capéran ou La tradition (préf. Robert de Goulaine), Monaco, Éditions du Rocher, coll. « Motifs » (no 303), 2008, 112 p.(ISBN 978-2-268-06450-5)
  • César Capéran ou La tradition (postface Auriant), Dole, Canevas éd., 1993 (ISBN 2-88382-039-2)
  • La Petite Chiquette (préf. Gilbert Sigaux), Lausanne, Éditions Rencontre, 1961
  • César Capéran, Imprimeries populaires, Lausanne pour les membres de la Gulide du Livre, 1945, édition hors commerce. Lithographies originales de G.-H. Dessouslavy.

Article de Marcel Coulon sur Louis Codet  paru dans Le Mercure de France n°679 du 1 octobre 1926 :
"Louis Codet et son oeuvre" 

Mercure de france couverture