L’histoire d’Hélène Adam Keller, aveugle et sourde à l’âge de deux ans, a souvent été racontée par des livres, des films et même une BD ; le théâtre de La Bruyère nous la propose, pour sa part, à travers la pièce de William Gibson Miracle en Alabama, adaptée et mise en scène par Pierre Val dont le travail sobre et efficace nous introduit au cœur du foyer de la famille Keller où se joue le destin d’Hélène.
L’action se passe dans l’Amérique de la fin du dix-neuvième siècle nous le devinons par les propos du père d’Hélène, Capitaine sudiste qui à plusieurs reprises fait allusion à la Guerre civile et invective les nordistes, mais aussi par le beau travail de Pascale Bordet qui par son juste choix des costumes nous transporte dans cette lointaine époque.
La pièce se déroule durant la période décisive de l’existence de la jeune fille, la période de son éveil au monde alors qu’elle se trouve encore prisonnière de ses handicaps et cloisonnée dans cet univers qui ne peut être que le sien. Coupé de la conscience des autres elle n’est qu’un enfant sauvage et hyper actif rendant la vie impossible à ses parents.
Après avoir pensé à un internement dans un établissement psychiatrique, les Keller tentent une dernière cartouche pour sauver l’enfant d'une vie asilaire où rien ne serait plus possible pour elle. Cette dernière chance : la prise en charge d'Hélène par Anne Sullivan, une éducatrice, jadis aveugle, pratiquant une méthode nouvelle de communication pour échapper à l’enfermement du double handicap : cécité et surdité.
Ce que nous montre le Miracle en Alabama est le problème même de l’éducation des enfants difficiles qu’ils soient aveugles ou pas. L’éducation n’est possible que par un échange et l’échange est d’abord basé sur le langage, sur les mots. Mais comment apprendre à un enfant qui ne perçoit ni son ni lumière à communiquer avec des mots ; un enfant qui de surcroit est entouré d’êtres qui l’aiment et lui cèdent en tout par pitié et amour, cet amour qui devient parfois le plus grand des dangers pour lui. C’est en mettant Hélène à nu et dépouillée de cette amour/pitié que tout peut devenir possible.
Nous assistons ainsi à l’évolution de ce dur apprentissage.
Les acteurs pour ces rôles difficiles en particulier : Clara Brice* qui interprète Hélène et ses sauvages réactions et Stéphanie Hédin son intraitable et consciencieuse éducatrice, nous font sentir toute la tension de ce combat, car il s’agit bien d’un combat, pour éveiller l’enfant aux bases du langage et à la sociabiliser. Le seul langage qu’Anne Sullivan pouvait enseigner à Hélène : celui des signes transmis de manière tactile. Un alphabet que l’éducatrice inscrit sans relâche dans la paume d’Hélène. Ces lettres, ces mots épelés au creux de sa main l’enfant les prendra d’abord pour un nouveau jeu des sens avant qu’une étincelle lui fasse comprendre qu’il s’agit là d’un moyen pour elle de communiquer enfin avec les autres.
Il faut voir cette pièce pour la qualité narrative de son action et la leçon de courage qu’elle nous donne devant une situation pouvant paraitre inéluctable et sans remède. Jamais battu d’avance !
David Nahmias (02/2018)
* Le rôle d’Hélène est interprété en alternance par Lilas Mekki et Clara Brice, le jour de la représentation à laquelle j’ai assisté Clara Brice était Hélène.