ATTENTE
Dès la première étreinte elle est là
au bord du lit elle se tient
assise paisiblement
pas particulièrement aimable pas agressive non plus
simplement elle est là
immobile muette calme sûre d’elle
À chaque étreinte elle est là
assise au bord du lit
soir ou matin
et probablement toute la nuit
attendant si tranquillement
qu’on pourrait penser
qu’elle veut se faire oublier
Est-ce qu’on l’oublie ?
mais on la retrouve
elle n’a pas bougé elle est toujours là
ni désagréable ni souriante
en tout cas pas effrayante
pas effrayante du tout
ce serait presque une amie
Dès qu’on a pris conscience de sa présence
c’est foutu
même si on veut l’oublier
impossible
Elle est là et elle attend
SOUVENIRS
Que deviennent les souvenirs,
Quand tu as quitté la maison ?
Sont-ils faussés, décolorés,
S’enfoncent-ils dans le néant ?
Qu’ils nous consolent ou nous déchirent,
Que deviennent les souvenirs ?
|
DIANE/ARTÉMIS
Tu as une fesse plus haute que l’autre et tu dissimules cette légère disgrâce sous les plis de ta tunique.
Tu as un sein en forme de poire, l’autre en forme de pomme ; aussi n’en laisses-tu deviner qu’un à la fois dans l’échancrure de ton corsage.
Ton œil droit s’effile vers la tempe, à l’asiatique, prudent ; le gauche est rond, brillant d’innocence et de curiosité. Mais on ne voit jamais qu’un seul de tes deux yeux, car tu présentes ton visage de profil.
Personne n’est plus que toi capable de comprendre les animaux, de les aimer, de les servir. Tu sais, reconnaissant leurs fèces et suivant leurs brisées, découvrir leurs terroirs, leurs repaires, leurs nids, leurs amours. Tu peux guérir leurs maladies et soigner leurs blessures. Tu as, plus d’une fois, aidé une mère en détresse à mettre bas ses petits.
Ton père Zeus, roi des dieux, t’a donné un troupeau de biches. Quatre sont attelées à ton char. La cinquième est ta favorite. Les sculpteurs t’ont représentée, marchant d’un pas ailé, le carquois sur l’épaule, la biche à ton côté, ta main posée sur le col de la bête.
Pourtant nul ne sait mieux que toi débusquer les animaux et les poursuivre jusqu’à ce que mort s’ensuive. Tu lâches sur eux tes chiens, tu les cribles de flèches, tu regardes le coutelas s’enfoncer dans leur gorge et lorsqu’enfin ils s’abattent à tes pieds, tu savoures leurs dernières palpitations.
Ton corps peint est coupé en deux : rouge sang d’un côté, avec des zébrures noirâtres ; de l’autre d’un blanc fragile, iridescent, celui des rayons de la lune.
Implacable Diane-Phoebé, mais généreuse aux voyageurs, aux voleurs, à tous ceux qui ne dorment pas, sur lesquels tu verses, la nuit, le lait de ta lumière.
Tu l’as aussi versé sur Endymion endormi,
le berger dont tu t’étais éprise
à condition qu’il ne se réveillât pas.
Ô déesse au double visage,
amie, amante et meurtrière,
tu m’as visitée dans mon sommeil.
Mais moi, je me suis réveillée
et j’ai reconnu, légère,
l’empreinte de ton pas.
Françoise Rachmuhl
|