Tout le monde sont juifs
"Tout le monde sont juifs"
ou
le syndrome de Max Jacob
Récit - L'Harmattan - 2015
« Faut-il pour être juif, être né d’une mère juive, respecter les lois mosaïques, se rendre au shabbat tous les vendredis soir, avoir été circoncis à l’âge de huit jours, être sorti d’Égypte sur les traces de Moïse, avoir été élu par un Dieu pour propager ses lois, et a contrario pour ne plus ou pas l’être faut-il renier sa mère, cracher sur ses lois de Moïse et d’Abraham, ne plus respecter le shabbat, se faire greffer le prépuce qu’un rabbin étourdi vous a ôté, retourner en Égypte en maudissant Moïse et les siens ?
Cette chose-là vous a été mise entre les mains par la providence sans que vous puissiez trouver un endroit où la déposer, un placard où l’oublier. »
Le syndrome de Max Jacob, ainsi défini par l’auteur, est le refus de connaître ou de reconnaître sa judaïcité et la vaine espérance d’y échapper.
A travers des anecdotes parfois drôles, parfois émouvantes, David Nahmias s’interroge sur la et sa judaïcité.
Chronique de Serge Cabrol sur la site d'Encres-Vagabondes Alexandrie, ville natale de l’auteur, lui tient toujours à cœur. Après l’avoir évoquée dans un livre coécrit avec son père, Alexandrie, mémoires mêlées ; après y avoir fait évoluer une chanteuse des années 50 dans Le rossignol d’Alexandrie ; David Nahmias rappelle ici le triste moment du départ d’Alexandrie en 1957, les Juifs étant chassés d’Egypte par Nasser avec à l’encre rouge sur le passeport la mention « Voyage Sans Retour ». Et pour ce gamin de sept ans débarquant en France avec toute sa famille, s’est peu à peu posée une question, « c’est quoi être juif ? » qui répondait à l’interrogation formulée ou non : « vous êtes juif ? ». Après avoir débarqué à Marseille, la famille s’est provisoirement installée à Vichy. David et son jeune frère sont intégrés dans la même classe de l’école communale. La façon dont la directrice, madame Valentine, les a présentés est restée mémorable. Après Vichy, la famille rejoint Bobigny où une communauté de juifs du Caire et d’Alexandrie a déjà ses habitudes avec une synagogue improvisée dans un appartement de la cité où, le mercredi, les enfants apprenaient l’hébreu et préparaient leur bar-mitsva. La famille pratiquait de façon assez irrégulière et les enfants n’étaient pas très motivés par ces apprentissages. Mais indépendamment de l’apprentissage de la langue, de la fréquentation de la synagogue, de l’observation des rites, la vraie question qui se pose au fil du livre est « qu’est-ce qu’être juif ? » L’auteur se rappelle ses années d’adolescence où il avait besoin de s’assurer de la judaïcité ou non-judaïcité des personnes qu’il rencontrait. La question n’était pas posée mais une connivence s’installait ou non et chacun avait le sentiment d’avoir deviné quand l’autre était aussi juif. Sur cette question de l’appartenance ou non à la communauté juive, l’auteur évoque Max Jacob, converti au catholicisme en 1915 et retiré dans un monastère en 1936, mais dont les origines juives lui valurent tout de même d'être arrêté par les nazis pour être déporté à Auschwitz. Interné par la gendarmerie française au camp de Drancy, il y est mort en cinq jours en mars 1944. Et David Nahmias, au fil des pages et des souvenirs, poursuit ses interrogations. Qui est juif ? Comment est-on juif ? Comment ne plus l’être ? Les juifs sont-ils partout ? Il invoque Céline qui en était persuadé ou Desproges qui ironisait, Desproges à qui Davis Nahmias emprunte son titre et qu’il cite en exergue : « Tous les médecins sont juifs. Tous les pharmaciens sont juifs. Tous les archevêques de Paris sont juifs. Tout le monde sont juifs. » Mélange de nostalgie de l’enfance alexandrine, d’hommage au père et à quelques personnes de la famille, d’interrogation identitaire, d’humour, de quête de soi, ce livre nous porte et nous entraîne sur les traces d’un auteur que tout ramène à la littérature et à la poésie. Serge Cabrol |