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The Shining à l’Hôtel La Louisiane

Moquette

Sur une vitrine de la rue Bonaparte, une affiche où se dessinait en noir la silhouette du jeune Danny de Shining. Il roule en tricycle le long d’un tapis rouge et blanc au design labyrinthique. Un dessin assez original pour illustrer le film de Kubrick. Comme tu le sais, je suis un inconditionnel de cette œuvre. Intrigué, je revins sur mes pas. Elle annonçait une exposition : The Shining que l’on pouvait découvrir à l’Hôtel La Louisiane rue de Seine. Je n’étais pas très loin du lieu et assez disponible pour m’y rendre. A cette heure, les brasseries du boulevard Saint-Germain étalaient leurs lumières en vagues mourantes sur les trottoirs. Je les longeai jusqu’à la rue de Seine. Au numéro 60, se dressait, entre une poissonnerie et un marchand de primeurs, la façade de l’hôtel La Louisiane. Curieux lieu pour une exposition. Sur la porte l’affiche aperçue rue Bonaparte m’indiquait que j’étais bien à l’adresse. Sur la droite un escalier, à gauche un couloir menant à la réception. Derrière son comptoir un tableau où devaient se trouver les clefs des chambres. Aucune n’était présente, comme si à cette heure chacun avait récupéré la sienne. J’avançais dans l’étroit hall en scrutant tout autour de moi pour déceler un signe qui dévoilerait la présence de l’exposition. Caché par l’escalier le réceptionniste était plongé dans la lecture d’un magazine de décoration. Je l’interrogeai sur l’exposition. Il eut un sourire entre malice et ironie avant de me répondre : « Au premier étage, sur la gauche. » En le remerciant, j’eus le temps de vérifier qu’aucune clef n’était accrochée au tableau. Au premier étage sur la gauche, je me trouvais devant un étroit couloir peint de couleur rouge sang avec tracé en noir des lignes labyrinthiques. Je le suivis et longeai les portes disparates de plusieurs chambres verrouillées par des serrures magnétiques. Au bout du couloir, je me trouvai devant deux autres portes closes. Contenaient-elles l’exposition ? Photo couloirJe n’ai pas tenté de le vérifier et fis demi-tour comme dans un labyrinthe lorsqu’on a manqué le bon chemin. Je comprenais à présent l’ironique sourire du réceptionniste. Il m’imaginait déjà me cassant le nez devant des portes closes. Brusquement devant moi la porte du 9 s’ouvrit laissant apparaitre une jeune femme habillée de noir, maquillée d'un rimmel violet foncé et d’un rouge à lèvres brillant. Elle referma sa porte en me regardant sans surprise et sans intérêt. Je lui laissais le temps de rejoindre l’escalier avant de m’engager à mon tour. Sur la droite se trouvait un autre couloir éclairé d’une lumière jaunâtre dans lequel, sur un pan de mur, on avait accroché des photographies représentant des scènes étranges que j’eus du mal à interpréter. Seule l’une d’elle : un couloir exigu de l’hôtel où je me trouvais avec, se tenant à son extrémité comme les jumelles du film de Kubrick, un jeune homme aux cheveux longs impassible et une jeune fille plus petite que lui. Ce couple banal avait pourtant quelque chose d’inquiétant dans la passivité de leur regard qui nous fixait.  Je pensais en avoir terminé avec cette exposition somme toute décevante. Mais une flèche dessinée sur une photocopie de l’affiche indiquait une suite à l’étage supérieur. Avant de l’atteindre, je passais devant un recoin exigu sous l’escalier où au sol gisait une peluche de grand singe brun éclatée comme un cousin après une lutte. Au niveau de sa tête une matière blanchâtre, sorte de coton synthétique, débordait éparpillée au sol, rappelant l’étrange scène de Shining dans la chambre d’enfant. Au second deux autres couloirs. Je m’engageai vers l’un d’eux lorsqu’à nouveau une porte s’ouvrit brusquement devant moi, les toilettes de l’étage d’où sortait un jeune homme tout aussi indifférent à ma présence que la jeune femme de l’étage inférieur. Les chambres de l’hôtel assez ancien ne devaient pas toutes avoir le confort sanitaire. J’ai oublié de dire que les escaliers et les couloirs étaient recouverts de moquette aux motifs de couleur marrons et de formes hexagonales rappelant ceux des couloirs de l’Hôtel Overlook. Elle était à plusieurs endroits tachée de toutes sortes de traces. Une nouvelle fois, j’aboutis devant des portes closes. Couloir 2J’imaginais le concepteur de l’exposition vouloir nous mettre dans l’état d’esprit d’un homme cherchant une issue en traversant ces couloirs trop étroits pour que deux personnes puissent se croiser et déconcerté sentir un léger malaise le gagner, celui de Danny parcourant les couloir d’Overlook. Je m’engageais dans l’autre partie de l’étage. Des voix et des rires me parvenaient sans que je puisse deviner s’il s’agissait d’un enregistrement lié à la conception de l’exposition ou un dialogue réel. Au milieu du couloir, une pièce grande ouverte où deux femmes de chambres bavardaient de manière très animée. L’une assise sur une chaise, l’autre debout devant le chariot contenant le bac à linges sales et les produits de nettoyages. Elles riaient souvent et n’ont esquissé aucun signe de surprise à mon passage. Une nouvelle fois le couloir se terminait sur une porte. J’étais un peu gêné de devoir à nouveau passer devant les deux dames noires de la maintenance. Peut-être faisaient-elles partie de l’exposition. Elles évoquaient les deux jumelles que Danny aperçoit au fond d’un couloir et qu’il revoit dans un flash baignant en morceau dans leur sang. Je ne les entendais plus rire et appréhendais de jeter en passant un coup d’œil dans leur pièce par crainte de les voir, également au sol, massacrées à coup de hache et de devoir m’enfuir sans tricycle disponible. Mais elles étaient bien là silencieuses et m’ont fixé le bref temps que je mis à passer devant leur porte. Leurs attitudes évoquèrent pour moi un de ces instants de vie peint par Edward Hopper. Une scène suspendue. Sur un fond vert soutenue, leurs visages noirs dirigés vers moi, les bras croisés sur leur blouse blanche, elles attendaient mon passage pour reprendre bavardages et rires. Une nouvelle flèche sur une photocopie de l’affiche m’indiquait l’étage supérieur. Lassé de ces couloirs tortueux et en cul-de-sac, j’hésitai. À cet instant, je m’aperçus que j’étais l’unique visiteur de l’exposition. Les personnes croisées n’étaient que des clients de l’hôtel et les deux femmes de ménages. En montant les marches, il me semblait entendre la voix de Nicholson me susurrer de répétitifs : « Tu te plais ici, David ». Une musique jazzy me parvenait d’un couloir. Je me dirigeai vers elle. Sur le montant d’une porte ouverte – celle d’où s’échappait la musique – était épinglé un carton avec l’indication : 237 – numéro de l’inquiétante chambre de l’hôtel Overlook. Après quelques marches je me retrouvai en contrebas dans une pièce meublée par un unique canapé vieilli, placé contre un mur devant l’écran où une étrange scène se déroulait : sur la scène d’un théâtre, des femmes habillées de capes rouges dansaient avec lenteur, l’une d’elle aux traits masculins prononcés était dénudée. Sa poitrine forte et ferme pointait en avant ses deux aréoles. Aux balcons des spectateurs masqués et drapés de capes noires se tenaient debout et suivaient impassibles cette danse semblable à une cérémonie de magie noire. Autour de la scène, d’autres spectateurs vêtus de noir se tenaient également debout et impassibles. Je m’enfonçai dans le canapé et tentai de suivre la projection. Je me trouvais seul dans la pièce 237. Sur l’écran, la musique lancinante et les mouvements lents des danseurs devenaient hypnotisant. Un sentiment de malaise me saisit. Le même que l’on ressent pendant le générique de Shining lorsque la voiture des Torrance roule vers l’hôtel Overlook. Sur ma droite, la porte ouverte de la pièce. Par je ne sais quelle vague crainte, je n’osais pas tourner mon regard dans sa direction. Pourtant je pressentais une présence qui m’incitait à vérifier. Personne ne se trouvait dans l’encadrement de la porte. L’instant suivant deux silhouettes passèrent sans se préoccuper de ma fébrile personne enfoncée dans le canapé. Sans doute des clients qui rejoignaient leur chambre au fond d’un couloir. Mais ils passèrent si furtivement que je les imaginai arrêtés le long du mur dans l’attente de ma sortie. Le déroulement du court métrage me parut toujours aussi éprouvant, un peu comme au réveil un rêve qui persiste et fausse notre perception du réel. Il était temps d’arrêter ma visite. Le fait d’être le seul visiteur présent pour l’exposition et la projection m’inquiétait. Etais-je pris dans un piège, et le sourire narquois du réceptionniste aurait-il dû m’alerter ? Le circuit labyrinthique que je venais d’effectuer dans les couloirs de l’hôtel La Louisiane et ces signes qui rappelaient celui d’Overlook me donnèrent l’impression que je ne pourrais m’extraire des couloirs étroits et qu’au bout de l’un d’eux, des contours d’une porte jaillirait du sang. Un sang abondant qui ramperait jusqu’à moi. Je quittai la pièce sans attendre la fin de la projection mais en prenant la peine de vérifier si, à gauche, à droite, dans le couloir personne ne m’attendait. Je descendis l’escalier aux marches recouvertes du tapis aux motifs hexagonales et retrouvai avec un certain soulagement l’atmosphère parisienne de la rue de Seine. Je m’installais à une terrasse de café pour éloigner les derniers relents de l’univers de Kubrick. La rue sombre était tachée de lumières jaunâtres. Devant moi l’étalage du primeur me parut rassurant comme sur une table un repas quotidien. Pour évacuer le reste de malaise que je ressentais encore, j’appelais un ami poChambreur lui raconter ma visite. J’avais oublié qu’il était également un inconditionnel du film de Kubrick et avait tout aussi accidentellement que moi visité l’Hôtel La Louisiane. En échangeant nos impressions nous nous rendîmes compte qu’étrangement nous n’avions pas vu la même exposition, enfin que des choses m’avaient échappées : la chambre avec une machine à écrire posée sur la table et, engagé dans son mécanisme, une feuille où se répétait la phrase dactylographiée inlassablement par Jacques Torrence dans une scène du film : "All Work And No Play Makes Jack A Dull Boy". A terre des feuilles éparses avec la même phrase répétée. Dans une autre chambre on découvrait derrière un rideau transparent une baignoire, rappelant celle de l’interdite chambre 237. Ces deux chambres étaient-elles closes pendant ma visite où n’ai-je pas osé les ouvrir ? Quant à mon ami, il n’avait pu voir la projection des courts métrages : incident technique ! Comme à l’intérieur d’un labyrinthe nous étions passés par des voies différentes en visitant l’exposition The Shining. Chacun faisant fausse route à sa manière.

David Nahmias (12/2019)

Moquette

 

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