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Sérotonine de Michel Houellebecq

   Le dernier roman de SérotonineMichel Houellebecq, Sérotonine, raconte l’histoire d’un ingénieur agronome de quarante-six ans. Il s’appelle Florent-Claude Labrouste, déteste son prénom et nous fait part de ses échecs récurrents dans son intégration sociétale parce qu’il n’est jamais dans le même tuyau que les autres. Sous antidépresseurs, il surnage et surfe dans la vie. Si son activité professionnelle le tient quelque peu en laisse, c’est le grand cafouillis quant à ses relations amoureuses. Il a aimé Kate et Camille avec quelques jokers pour le plaisir du sexe, en particulier Yuzu la nymphomane, amatrice de gang-bangs et Claire. Camille est la femme avec laquelle il a eu une réelle complicité amoureuse, sauf qu’il a détruit leur amour du jour au lendemain. Car quelle bêtise que de se faire pincer aux bras d’une négresse dans une rue charmante de Paris. Les années passant, séparé de Camille, il est resté nostalgiquement attaché à elle.

Pour en dire un peu plus, Florent-Claude a un fond doux. Son père et sa mère l’ont aimé, même s’ils l’ont abandonné par suicide, suite à la maladie du père atteint d’un cancer au cerveau. Un peu schizoïde, sans être  méchant, il est un excellent observateur de notre société dans son délitement avancé, comme s’il se substituait à un tiers extérieur, comme s’il en faisait partie sans en faire partie. Il a une complicité amicale avec Aymeric, un aristocrate agriculteur. Les deux ont fait Agro. Aymeric, son double inversé, se heurte lui aussi aux exigences du monde matérialiste.

Le suivi médical de Florent-Claude est assuré par le docteur Azote, qui délivre les ordonnances de Captorix, médecin aussi génial que fêlé, intégré lui aussi, à sa manière, au monde ambiant. De façon récurrente, Florent-Claude se pose une question de fond : « Etais-je capable d’être heureux dans la solitude ? Je ne le pensais pas. Etais-je capable d’être heureux en général ? »

Quoiqu’il en soit, le roman de Michel Houellebecq lâche quelques vérités : l’incontestable délitement d’un monde qui conduit les êtres, pour les plus fragiles, à être paumés individuellement et collectivement. Toutes les misères existentielles de l’homme occidental y sont étalées : l’immaturité, la misère affective et sexuelle. Le narrateur raconte les mœurs d’une société en déclin avec la révolte des éleveurs normands spoliés par les quotas de lait imposés par Bruxelles. Il relate le tissu sociétal endommagé avec ses familles recomposées, qualifiées de familles décomposées et les trous noirs affectifs que cela engendre.

Qui apprécie les livres de l’auteur des particules élémentaires, ne peut manquer d’avoir une pensée sur le chemin parcouru par cet auteur depuis son premier livre publié en 1993, H.P Lovecraft – contre le monde, contre la vie. Comme si, à sa manière, ce livre princeps avait constitué un point de départ, voire un point d’accroche à ceux qui ont été publiés par la suite. Si l’on veut être plus précis, Sérotonine, n’est qu’un livre de plus dans l’extension de la galaxie tumultueuse des livres houellebecquien.

Quelle plume singulière toutefois! S’il n’a pas, stylistiquement parlant, la grâce et la culture d’un Jean d’Ormesson, en revanche, Michel Houellebecq est d’une efficacité redoutable. Il va, sans prendre de gants, là où ça fait mal. Soit au cœur de nos égos savamment affutés et l’escarcelle de nos sentiments négatifs entretenus ou pas. Il gomme, tout ce qui pourrait être positif. Il bénéficie pour cela de mésaventures identitaires idylliques, dont il sait tirer parti en un fabuleux rebondissement littéraire.

L’auteur de Plateforme exerce une séduction magnétique, voire hypnotique à l’égard des lecteurs limites limites. Pour des raisons qui lui sont propres, il n’aime pas le monde, mais il s’aime, en particulier son monde intérieur, une sorte de repaire, qu’il bichonne et berce à la manière d’un bébé libertaire.

Sans vouloir comparer (homme et époque différents), il y a des ingrédients de Céline chez Houellebecq, comme des ingrédients de Bret Easton Ellis avec son American Psycho, un livre noir, parfois drôle contre la société américaine, sans oublier les ingrédients princeps de Lovecraft.

Sérotonine est un livre poignant, talentueux, avec une prose souple, déliée, parfois bavarde, qui se laisse lire.

                                                                         

                                                                                        Patrick Ottaviani (21/01/2019)

 

 

 

 

 

Serotonine

Editions Flammarion

 

Première page

Serotonine 1er page 2