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Les plumes fauchées - Pierre Ginisty

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  Couverture des ecrivains 14 18Aux Trompettes Marines, nous aimons, sans doute l’avez-vous déjà remarqué, fouiller les arcanes du passé littéraire et en ressortir, à l’occasion, tel ou tel déshérité.
  Là, nous venons de faire une découverte extraordinaire. Un ravissement nous étreint, que nous aimerions vous faire partager.
  En 1924, à la bibliothèque du Hérisson, paraît une fabuleuse anthologie, dirigée par Thierry Sandre (Prix Goncourt 1924) l’ANTHOLOGIE DES ECRIVAINS MORTS A LA GUERRE. Cinq tomes, 1500 pages relatives à près de 700 hommes de plume, confirmés ou en herbe, tombés sur le champ de bataille. Certains sont déjà honorés, comme les célèbres Péguy, Fournier… d’autres, moins avancés, élaborent, tels Pierre David, Georges Mercié, André Puget, présenté par Claude Farrère (Prix Goncourt 1903) des écrits gorgés de promesse.
  Leurs affinités littéraires étaient éclectiques. Nombre étaient poètes, romanciers en herbe, ou auteurs dramatiques, épistoliers, géographes, journalistes… et leur vie bascula brutalement dans la mort par le fait d’une balle ou l’éclat d’un obus.
  Nous avons intitulé cette rubrique : Les plumes fauchées et nous reproduisons intégralement le texte de l'anthologie sans y apporter aucune modification. 

  Ils aimaient taquiner la Muse et des sentiments de fraternité, de vaillance, et de sacrifice les associèrent en des liens indicibles le temps de la « Grande Guerre 14-18. »

Pierre GINISTY - 1884 - 1914

Par Louis SONOLET

Dans toute la personne de Pierre Ginisty, robuste, alerte, vive et pleine d'attirance, la vie avait allumé son plus intense, son plus aimable rayonnement. Et la guerre implacable l'a couché dans la tombe à trente ans.
Né le 8 mars 1884, il était le fils unique de M. Paul Ginisty, l'écrivain bien connu, qui fut jadis directeur du théâtre de l'Odéon. Dès les premières années de sa jeunesse, il manifesta un goût très vif pour les lettres et particulièrement pour le théâtre. Il était lui-même un comédien amateur plein de verve et de finesse, qu'on se disputait pour les revues de salon et les spectacles de charité. Il fit son droit et suivit en même temps les cours de l'École des Langues orientales dont il obtint le diplôme.

Tranches1
Avocat épris de sa tâche, très aimé de ses confrères et de ses clients pour sa droiture, sa cordialité, sa belle humeur teintée d'ironie, il fut un des douze secrétaires de la Conférence des Avocats sous le bâtonnat de Me Henri Robert. Il avait épousé une charmante jeune femme qui était l'aînée des filles de M. Adolphe Brisson, et qui lui avait donné une petite fille dont la pétulante grâce l'enchantait.
Aux Annales politiques et littéraires, que dirigeait son beau-père, il donna une série de dialogues où il faisait revivre, avec un spirituel mélange d'observation et de fantaisie, ce milieu du Palais de Justice, des juges, des avocats et des plaideurs, dans lequel ramenaient ses occupations quotidiennes et qu'il connaissait à merveille. Il fut ensuite chargé de la chronique des théâtres au même journal. Il y faisait preuve de vues originales et d'une expérience, assez surprenante chez un jeune, qu'il devait à sa fréquentation précocement assidue du monde de la scène. N'avait-il pas passé de, nombreuses heures de son enfance et de sa prime jeunesse dans les profondeurs mystérieuses du côté cour et du côté jardin ? N'avait-il pas été un moment secrétaire de la direction de l'Odéon ? Entre temps il faisait jouer de petites pièces gaies et aimablement satiriques, qui promettaient à bref délai une production dramatique d'où se serait dégagée avec plus d'éclat l'originalité de son talent.
De son service au 82e d'Infanterie, il était revenu avec le galon de sous-lieutenant de réserve. En juillet 1914, la déclaration de guerre le trouva plein d'enthousiasme et de fougue patriotiques. Promu, au mois de septembre, lieutenant au 153e régiment, il commença par se consumer d'impatience dans des garnisons du Midi où il faisait l'instruction des jeunes soldats de la classe 1914. Il implora tout ce qu'il possédait de relations afin qu'on l'envoyât au feu le plus tôt possible. N'écrivait-il pas alors à son père :      '

« Rien encore ! Pas d'ordre de départ. Ce ne sont pourtant pas les assurances réitérées du commandant qui me font défaut. Il me disait, ces jours-ci, que je serais appelé à commander une compagnie. Mais quand ? Moi qui m'étais mis, dès notre arrivée, à l'étude de la comptabilité en campagne ! Je rêve, toutes les nuits, que je suis dans les tranchées ou que j'entraîne mes hommes dans une attaque, Et puis, au réveil, il faut déchanter. »

Il trompe sa fièvre de bravoure en veillant avec une tendre sollicitude sur le sort de ses soldats. Son cœur s'émeut devant la pauvreté de tant d'entre eux et il écrit à sa femme :

« Je voudrais faire quelque chose pour ceux qui n'ont pas de sous, comme ils disent. Pourrais-tu, à quelques âmes charitables proposant des vêtements de laine recommander mes gosses? »

Enfin le lieutenant Ginisty est désigné pour le départ et, le cœur battant d'une joyeuse fierté, il arrive en Belgique, dans la région d’Ypres, à la fin de décembre 1914. Sa compagnie, dont il a été nommé commandant ainsi qu'il l'espérait, tient les tranchées entre Saint-Julien et Poëlcappelle. Avec quel entrain il va mener au combat ces jeunes bleus inexpérimentés qu'il a formés lui-même et qui lisent sur sa belle figure ouverte et gaie l'exemple du courage !
Hélas ! la cruelle fatalité ne lui en laissera pas le temps. Le 24 décembre, il vient de faire, pour le soir, avec des camarades, le projet d'un réveillon de Noël qui les réjouit d'avance en dépit de son caractère forcément inconfortable et frugal. Presqu'aussitôt une balle l'atteint en pleine poitrine, tandis qu'il observe le tir de l'artillerie ennemie.
Immédiatement pansé par un sergent-major et un caporal, il vit encore quelques minutes pendant lesquelles il a la force et la superbe énergie de leur dire :

- « Je crois que je suis fichu, mais ça ne fait rien si nous avons la victoire. Passez le commandement du peloton à l'adjudant Tétreau. »

Quelques instants après, comme des soldats travaillent à la réfection du parapet de tranchée qui s'est écroulé, il leur dit de bien se garantir des balles.

- « Moi, ça ne fait rien, déclare-t-il d'une voix mourante, mais vous, les hommes, faites attention.»

Ainsi, après s'être élevé vers Ia patrie, sa pensée dernière allait à ceux qu'elle lui avait confiés. Parlant de cette fin héroïque à la cérémonie célébrée à la Sainte-Chapelle pour les avocats tués à l'ennemi, l'archevêque de Paris a dit que Pierre Ginisty avait prononcé alors un des plus beaux mots de la guerre. Ce mot figure dans la citation qui consacre la haute fermeté d'âme du jeune et charmant officier tombé dès son arrivée au feu.

Il a reçu, à titre posthume, la croix de la Légion d'honneur. Mais le plus bel hommage peut-être qui ait été rendu à son souvenir, ce sont les lettres si touchantes que plusieurs de ses soldats écrivirent à ses parents. Et il se trouva aussi des clients pour leur exprimer la reconnaissance émue qu'ils vouaient à sa mémoire, témoin ce fragment d'une lettre adressée à M. Paul Ginisty :

« J'ai été une cliente de votre fils, mais une cliente pauvre, infirme et vieille. Et, malgré cela, j'ai été reçue par lui avec tous les égards. C'est au point qu'après une première visite, comme j'étais déjà dans l'escalier, il m'a rappelée et m'a mis discrètement une pièce dans la main en m'exhortant à avoir du courage. Cette belle action s'est renouvelée plusieurs fois avec une délicatesse exquise et je lui ai dû dans des circonstances bien pénibles, de pouvoir payer mon loyer. »

En Pierre Ginisty la mort a donc enlevé brutalement un cœur aussi bon et généreux qu'intrépide et solidement trempé. Elle ne lui a pas permis de donner toute la mesure de son talent comme avocat et comme écrivain, mais, en le faisant tomber au champ d'honneur à la façon d'un héros de Corneille, elle a illuminé sa trop rapide destinée d'un éclat qui passe en splendeur toutes les œuvres de la terre.


Croquis de Palais

BARNABÉ
ou le Crime du Boulevard Picpus
ou l'Acquitté peu reconnaissant

 

Me GEORGES LETOURNIER, vingt-huit ans.
Mme LETOURNIER, vingt-cinq ans, sa femme.
BARNABE, quarante ans, déménageur, et le héros de la tragédie du boulevard Picpus.
LÉPINEAU, vingt-neuf ans, ami de Letournier.
MARIE, domestique, vingt ans.

Chez Me Letournier, avocat, à la Cour. Elégant cabinet de travail. La cheminée anglaise, les boiseries claires, les meubles en citronnier lui donnent un aspect jeune et confortable. Dans la bibliothèque, des livres aux couvertures chatoyantes et gaies font un contraste avec les hautes reliures d'un recueil de jurisprudence — Dalloz ou Sirey — qui occupent majestueusement les rayons du bas. A la vérité, c'est depuis deux ans à peine, du jour où il a prêté serment, que le maître de céans s'est préoccupé des décisions de la Cour de Bourges ou du tribunal de Saint-Flour. Et encore, est-ce, plus souvent, pour satisfaire une curiosité juridique et toute désintéressée que pour étayer de jugements ou d'arrêts inattaquables des dossiers qui, hélas ! n'encombrent pas encore sa fable de travail.

Cependant, un succès, un acquittement récent — il date à peine de deux jours — dans une affaire criminelle importante a valu au jeune avocat de nombreuses félicitations. Son nom, hier ignoré au Palais, éveille aujourd'hui quelque curiosité. Parmi les confrères, les jeunes se rappellent avoir été à la Faculté avec lui ; les autres, les anciens, demandent avec une bienveillance qui n'exclut pas une certaine hauteur : « Quel est ce petit Letournier ? »

Letournier a goûté l'enivrement de la gloire, les paroles flatteuses du président, les effusions de l'acquitté, les poignées de mains chaleureuses des camarades. Hélas ! pourquoi cela dure-t-il si peu !

Dans le cadre intime du cabinet de travail et sous les regards bienveillants des vieux portraits de famille, le triomphateur d'hier et sa femme sont réunis. La jeune Mme Letournier, penchée sur sa petite table à écrire, fait sa correspondance, tandis que, bas sur jambes, ventripotent, le front luisant de calvitie, béatement heureux, content de lui, son mari regarde par la fenêtre, en tapotant les vitres du doigt.

LETOURNIER. — Ce bon Barnabé, il me tarde de le voir.

Mme LETOURNIER, tout en écrivant. — Encore Barnabé !

LETOURNIER. — Que veux-tu, on ne voit pas un homme pendant six mois sans s'y attacher.

Mme LETOURNIER, posant sa plume. — Je comprendrais, mon chéri, si c'était quelqu'un de ta condition, un ami... (Avec un air souverainement méprisant.) mais... Barnabé !

LETOURNIER. — Eh !... Eh !... Peu d'amis, si dévoués soient-ils, m'auraient fourni l'occasion agréable, je l'avoue, de lire, hier, (Désignant une pile de lettres et de journaux.), ces lignes flatteuses ou ces articles à la fois élogieux et, somme toute, sincères.

Mme LETOURNIER. — Ah ! si ta sympathie vient du succès que tu as eu !

LETOURNIER. — Mais pas du tout, j'apprécie Barnabé parce que sous des allures un peu frustes...

Mme LETOURNIER. — Oh ! ça !...

Letournier, avec un léger mouvement d'impatience.

LETOURNIER. — Naturellement, ce n'est pas un homme du monde, mais il a un cœur loyal et droit, une nature affectueuse...

Mme LETOURNIER. — Enfin, ce n'est pas une raison pour en faire ton inséparable.

LETOURNIER. — Comment, mon inséparable !

Mme LETOURNIER. — Dame, il est tout le temps fourré ici. N'est-il pas venu hier matin ?

LETOURNIER. — Pour me remercier. A propos, où diable ai-je mis son cadeau ? tu sais, le petit souvenir. (Cherchant sur la table.) Ah ! le voilà !

Il met, bien en évidence, une affreuse blague à tabac, tricolore.

Mme LETOURNIER. — Tu l'as reçu hier soir.

LETOURNIER. — Pour chercher des lettres à lui que j'avais dans mon dossier.

Mme LETOURNIER. — Enfin, tu l'attends ce matin !

LETOURNIER. — Mais, mon Dieu, pour une raison bien simple... Pour me demander conseil au sujet de difficultés qu'il a avec son propriétaire.

Mme LETOURNIER. — Et chaque fois, il arrive au moment où tu as des amis. Comme c'est agréable ! Hier soir, Menier et Chapuis étaient là.

LETOURNIER. — Je crois bien. C'est moi qui leur avais dit de venir.

Mme LETOURNIER. — Pourquoi donc ?Photo barnabe 2

LETOURNIER, un peu embarrassé. — J'ai pensé que cela les intéresserait, eux qui ont suivi les débats et m'ont si chaleureusement félicité, mardi, de voir de près... Barnabé.

Mme LETOURNIER. — Enfin, je t'assure, c'est très ennuyeux... Il paraît que des locataires se plaignent dans la maison. Quant à Marie, elle n'ose plus ouvrir la porte.

LETOURNIER. — Oui, eh bien ! je lui conseille de faire sa mijaurée. Je te lui flanque ses huit jours, je te prie de croire que ça ne traînerai pas !

Mme LETOURNIER. — Ecoute, mon chéri, sois raisonnable... Ils n'ont pas tout à fait tort, ces gens-là. Avec la publicité faite autour de cette affaire, les portraits parus dans les journaux, ils le reconnaissent et, dame, c'est pas rassurant de voir entrer fréquemment dans la maison un... un assassin.

LETOURNIER. — Mais, je t’ai expliqué plus de cent fois que Barnabé n'était pas à proprement parler un assassin.

Mme LETOURNIER. - Pour moi, un assassin, c'est un homme qui en tue un autre. Or ton Barnabé a étranglé sa femme. Après ça, si tu le considères comme un galant homme ?

Mme LETOURNIER. — Enfin, tu l'approuves ?

LETOURNIER. — Mais non, je ne l'approuve pas. Mais je t'ai dit ce que valait sa femme, une misérable créature qui le bafouait, traînait son nom dans la boue, trahissait indignement sa confiance. Il a cédé à un moment d'exaspération, de rage, excusable dans une large mesure. (Avec humeur.) C'est curieux de ne pas vouloir comprendre qu'il y a parfois des circonstances où l'homme le plus doux n'est plus maître de lui.

Mme LETOURNEUR. — Allons, mon chéri, ne te fâche pas. Après tout, ce que je t'en disais c'était dans ton intérêt.

Elle se remet à écrire.

LETOURNIER, se promenant de long en large. — Je t'assure, il y a un monde entre l’apache dangereux qui guette un passant au coin de la rue et l'assomme, et Barnabé, qui est un travailleur, un brave garçon malgré tout, un homme, si étrange que cela puisse te paraître, animé des sentiments les plus délicats... Plein de reconnaissance... (Avec émotion.) Brave Barnabé, va ! (Un temps.) Ah ! j'aurais voulu que tu l'entendisses, dans sa cellule, me raconter sa vie, ses heures de détresse. Avec quelle confiance il m'a révélé sa misère passée, car, le pauvre a connu la faim, le froid... Tiens, ça me fait penser que je devrais lui donner mon vieux pardessus..., tu sais, le gris.

Mme LETOURNIER, relevant vivement la tête. — Comment, ton pardessus de voyage ! Mais il est encore très bon !

LETOURNIER. — Tu verras le plaisir que ça lui fera ! Car il a dû, tact, il se rend compte des choses. L'autre jour, à la Santé, il me disait sa honte de paraître en public avec un vieux veston râpé... Pauvre bougre !

Mme LETOURNIER. — Entre nous, je trouve ça absurde. Maintenant, si tu y tiens...

Elle sonne.

LETOURNIER, se frottant les mains. — Je lui remettrai ça tout à l'heure, avec quelques bonnes paroles.

Mme LETOURNIER, à Marie, qui vient de rentrer. — Marie, prenez, dans l'antichambre, le pardessus gris de Monsieur et faites-en un paquet que l'on remettra à... à Barnabé.

MARIE, effrayée. — Il va encore revenir, celui-là !

LETOURNIER, furieux. — Voulez-vous sortir ? Et pas de réflexions, n'est-ce pas ?... En voilà un genre ! (La rappelant d'un geste.) Ah ! vous donnerez aussi le muscat et quelques biscuits.

MARIE. — Bien, monsieur.

LETOURNIER, à sa femme. — Je crois qu'il l'aime beaucoup, ton muscat.

Mme LETOURNIER, ironique, et tout en relisant sa lettre. — Tu m'en vois ravie. (Haussant les épaules.) Ma parole, tu deviens fou, fou à lier.

LETOURNIER, les yeux au ciel. — Oh ! les femmes, avec leurs préjugés !

Un temps, pendant lequel Letournier, supérieur et philosophe, allume sa cigarette, tandis que la plume de Mme Letournier grince sur le papier. Puis.

LETOURNIER. — Annette !

Mme LETOURNIER, avec un soupir lassé. – Quoi encore ?

LETOURNIER. — Vois-tu, on ne se rend pas assez compte dans notre milieu de ce qu'il y a dans le peuple de sentiments généreux ; délicats même. On se coudoie, mais on ne se connaît pas. T'ai-je dit, par exemple, ce qu'il avait fait après l'audience ?

Mme LETOURNIER, sans lever les yeux de son papier à lettres. — Il t'a remercié ?

LETOURNIER. — Bien entendu et avec des mots, de ces mots qui viennent réellement du cœur. Puis après, avec un pauvre air gêné, timide, embarrassé, il m'a demandé dix francs : histoire, m'a-t-il dit textuellement, de rapporter quelque chose à ses gosses. N'est-ce pas là une jolie pensée ?

Mme Letournier, en femme résignée que plus rien n'étonne.

Mme LETOURNIER. - Alors, tu lui donnes de l'argent par-dessus le marché.

LETOURNIER. — Pouvais-je faire autrement... J'ai trouvé ça si touchant !

Un temps. Mme Letournier a pris le parti de ne plus discuter. Elle est toute à sa correspondance. Letournier s'assoit devant sa table de travail, et feuillette un volumineux dossier. Soudain.

LETOURNIER. — Annette !

Mme LETOURNIER. — Mon chéri, je t'en prie, laisse-moi finir ce que je fais.

LETOURNIER. — Bien, bien, ne te dérange pas. Je voulais seulement te montrer un passage...

Mme LETOURNIER. — De quoi ?

LETOURNIER. — D'une lettre de lui.

Mme LETOURNIER. — De qui ça, lui ?

LETOURNIER, un peu embarrassé. — Mais de... de Barnabé.

Mme LETOURNIER, moitié souriante et moitié agacée. — Sais-tu que tu deviens insupportable avec ton Barnabé. Enfin, que dit-elle, sa lettre ?

LETOURNIER. — C'est pour te montrer que je n'ai pas affaire à un ingrat. Tiens, écoute... « La vie est semée d'épines, parfois bien dures à digérer » ... Non ce n'est pas ça. Tiens voilà, tout à la fin... « Je n'oublierai pas ce que vous avez fait pour moi et si jamais je suis libre et que vous ayez besoin d'un petit coup de main pour un déménagement, pensez à celui qui vous envoie ses bien respectueuses cordialités. » Signé : BARNABE. » Brave cœur ! va ! Il ne promet pas des mille et des cent, des choses impossibles, mais il met sa force, ses muscles, sa bonne volonté à ma disposition. Voilà des natures comme je les aime. (Un temps.) Veux-tu que je te dise une chose, Annette ? Eh bien ! c'est l'éducation qui pourrit les hommes. (Geste d'impatience de Mme Letournier.) Pardon, ma chérie, je ne faisais pas attention, continue, je t'en prie.

Letournier parcourt avec attendrissement des lettres crasseuses, tandis que Mme Letournier s'absorbe dans la rédaction d'affectueuses banalités.

Coup de sonnette !

LETOURNIER. — Tiens, le voilà !

Mme LETOURNIER. — Je me sauve.

LETOURNIER. — Non, reste, mon petit.

Mme LETOURNIER. — Mais je le gêne horriblement, cet homme. Il ne sait quelle contenance garder.

LETOURNIER. — Ce malheureux a besoin de consolation. Il a souffert et les femmes ont parfois de ces mots divins...

MARIE, entrant. — Monsieur, c'est M. Lépineau.

Mme LETOURNIER. — Lépineau à cette heure-ci ? Tu l'as invité à déjeuner ?

LETOURNIER, avec embarras. — Mais non, je lui ai dit de venir ce matin, en passant, fumer une cigarette !

Mme LETOURNIER. — En réalité ! pour lui montrer ton client... Ah çà ! tu en fais donc Une bête curieuse !

LÉPINEAU, entrant. — Bonjour, comment va ? (Baisant la main de Mme Letournier.) Mes hommages, chère amie ! (Serrant la main de Letournier.) Bonjour, vieux. J'ai reçu ton petit mot et j'accours.

LETOURNIER. — Tu vas voir, mon cher, un type curieux. Ce n'est pas la brute assoiffée de sang comme le prétend ma femme, ni le bandit mûr pour les pires forfaits, ni le fou dangereux et criminel. C'est seulement un homme resté près de la nature, un simple, un primitif, dont les instincts sont au fond très pacifiques, mais qui, incapable de résister à ses passions, s'emporte parfois en des colères subites et terribles.

LÉPINEAU, blaguant. — Tu m'épouvantes.

LETOURNIER. — Rassure-toi. En résumé, tu verras un mouton, un vrai mouton, jadis enragé, mais redevenu, aujourd'hui, doux comme l'agneau qui tette encore sa mère, et quand je dis un agneau, je pourrais dire aussi un chien par la fidélité et la reconnaissance.

LÉPINEAU, même jeu. — Ah çà ! tu vas donc me présenter à toute une ménagerie !

Mme LETOURNIER. — Mon bon Lépineau, armez-vous de patience. Depuis son succès, Georges ne rêve et ne parle que de son client, ainsi...

Nouveau coup de sonnette.

LETOURNIER. — Le voilà ! (A Lépineau.) Tu vas me dire ce que tu en penses.

MARIE. - Monsieur, c'est Mme Boutru, qui voudrait parler à Monsieur, pour son divorce qu'elle a dit.

LETOURNIER, avec humeur. — Je n'y suis pas... Qu'elle aille au diable !

Mme LETOURNIER. — Mais, Georges, n'est-ce pas cette pauvre femme que son mari battait comme plâtre et qui reste avec quatre enfants sur les bras ?

LETOURNIER. — Eh bien ! elle n'a qu'à les poser par terre. Ce n'est pas une raison pour venir carillonner du matin au soir chez moi. (A Marie.) Vous m'entendez, dites que je n 'y suis pas.

Mme LETOURNIER. — Tu as tort ! Une pauvre femme !

LETOURNIER. — Demain, demain, je la recevrai. Aujourd'hui, j'ai bien autre chose en tête. (Nouveau coup de sonnette.) Cette fois-ci, ça ne peut être que lui. Tu vas voir le bonhomme.

De fait, Marie rentre, l'air effaré,

MARIE. — Monsieur, c'est l'assassin de Monsieur.

LETOURNIER. — Là, que vous disais-je ?... Ah ! dites donc, je vous recommande à tous deux de la cordialité. Il faut le mettre à son aise, cet homme...

Mme LETOURNIER, agacée. — Tu n'as pas besoin de nous dire ce que nous avons à faire.

LETOURNIER. — Bien, bien, ma chérie, je n'insiste pas... Attention, le voilà.

Barnabé, en effet, vient d'apparaître sur le pas de la porte. Comme l'affirmait son avocat, il n'a pas la tête de gouape de l'apache et ses traits ne reflètent ni bassesse ni cruauté. Bien au contraire, des yeux bleus, un teint fleuri, une taille au-dessus de la moyenne, une forte corpulence, en font le type du bon géant, gauche, et timide, éternellement soucieux de résoudre le difficile problème d'occuper ses deux bras. Il l'a, cependant, partiellement, résolu, en tapotant ; de sa main droite, sa casquette contre la jambe de son pantalon.

Barnabé, souriant, et saluant d'un geste maladroit.

BARNABÉ. — Bonjour, maître et la compagnie.

Leteurnier aimable, lui serrant la main, avec la plus affectueuse cordialité.

LETOURNIER. — Bonjour, mon brave Barnabé, ça me fait rudement plaisir de vous voir. A Lépineau. A-t-il l'air heureux, le gaillard ! Regarde-moi ce bon sourire. Mon vieux, je te présente Barnabé, (A sa femme.) Tu connais Barnabé.

Lépineau très distant, faisant un signe de la main.

LÉPINEAU — Bonjour, Barnabé, bonjour.

Barnabé, qui retire sa main tendue, que Lépineau a feint de ne pas remarquer.

BARNABÉ. — M'sieu !

Mme LETOURNIER, sèchement. — Bonjour, monsieur Barnabé.Photo barnabe

BARNABÉ, saluant gauchement. — M'ame Letournier.

LETOURNIER, — Ah ! ça me fait plaisir de le voir comme ça. L'air reposé, l'œil vif, le teint frais, indices d'une bonne santé, d'ailleurs, la Santé, ça le connaît.

Il rit bruyamment.
Cette plaisanterie délicate (!) n'a pas réussi a éveiller un demi-sourire, mais, par contre, elle a fait se colorer du rouge le plus vif la figure de Barnabé, dont la bonne humeur s'est aussitôt évanouie.

LETOURNIER, toujours jovial. — Tout de même, on est mieux ici, pas vrai !... C'est plus gentiment meublé ?

BARNABE, complaisant. — Pour sûr !

Letournier, avec un air à la lois malicieux et suffisant.

LETOURNIER. — Et tout de même, dire que peut-être, sans moi...

BARNABE, bon garçon. — Ça, c'est la vérité. Vous avez été bien gentil, je vous remercie et si jamais, à l'occasion, vous avez besoin, d'un petit coup de main...

Letournier, lui tapant familièrement sur l'épaule.

LETOURNIER. — Je sais, je sais ! mon bon, mon excellent Barnabé ! (A Mme Letournier) Sonne donc, ma chérie, pour qu'on nous apporte quelque chose à boire. (A Barnabé) Hein ! un petit verre, ça ne fera pas de mal ?

BARNABE, pensant traduire l'opinion générale. — Pour sûr, il fait une sacrée soif, aujourd'hui. (Prenant Mme Letournier à témoin.) Pas vrai, madame Letournier ?

Si exact que puisse être le fait, il n'a pas trouvé d'écho. Aussi, Barnabé, de plus on plus gêné, tourne et retourne entre ses doigts sa casquette graisseuse.

LETOURNIER, à Lépineau, mondant Barnabé. — Et regarde-moi si c'est bâti, si c'est musclé, si c'est taillé...

LÉPINEAU, — Le fait est que...

LETOURNIER. — Et pige-moi ces épaules, cette carrure, ces poings à assommer un boeuf !

Silence gêné, pendant lequel Mme Letournier feint d'arranger des fleurs dans un vase et Lépineau d'admirer les richesses de la bibliothèque. SeulLetournier garde son sourire heureux et contemple Barnabé qui, lui, donnerait beaucoup pour être ailleurs. Heureusement, Marie entre, avec un plateau et des verres.

Mme LETOURNIER, pour rompre les chiens. — Et vous avez été heureux de retrouver votre enfant ?

BARNABÉ. — Je vous crois. Seulement, mardi ils m'ont relâché plus tôt que je ne le pensais, si bien qu'il n'y avait personne à la maison et que j'ai dû croquer le marmot.

Marie, affolée, laissant tomber le plateau et les verres.

MARIE. — Ah ! mon Dieu !

Mme LETOURNIER. — La maladroite !

Barnabé, mis momentanément à son aise par cet incident qui lui rappelle les menus risques de sa vie professionnelle, avec bonne humeur, tout en aidant la domestique à ramasser les débris de verre.

BARNABÉ. — Ah bien ! ma fille, vous en faites de la belle ouvrage ! Si, censément, c'était vous qui étiez chez mon patron, qu'est-ce qu'il vous raconterait ? (Expliquant

à. ses hôtes, pendant que Marie sort et ferme la porte.) Chez nous, on paie la casse !

LETOURNIER, à Lépineau. — Est-il amusant, hein !

LÉPINEAU. — Peuh !

Letournier, protecteur et suffisant, la main sur l'épaule de Barnabé.

LETOURNIER. — Quand je pense que sans le petit Letournier, le même homme que tu vois là n'y coupait peut-être pas de vingt ans de travaux forcés ! On n'aurait plus fait le farceur, hein ! Barnabé !

Barnabé, dont la figure s'est de plus en plus rembrunie, mais docilement.

BARNABÉ. — Non, maître.

LETOURNIER. — Et quand je dis vingt ans, c'était peut-être la Guyane à perpétuité !

LÉPINEAU, doutant. — Pour un crim..., pour un procès d'ordre passionnel, veux-je dire... car je crois que c'est une affaire passionnelle.

LETOURNIER. — Comment ! Si c'est une affaire passionnelle ! (Expliquant avec volubilité.) Barnabé, ce pauvre Barnabé, a épousé une femme qui se moquait de lui, lui faisait la vie impossible, le rendait ridicule, tu me comprends ? N'est-ce pas, Barnabé, que votre femme vous rendait ridicule ?

BARNABE, ennuyé. — Dame !

LETOURNIER. — A tel point, figure-toi, qu'on se le montrait du doigt. Il était la risée de fout son quartier. Jusqu'aux gosses, qui se fichaient de lui. J'exagère, Barnabé ?

BARNABE, même jeu. — Non.

LETOURNIER. — Or, Barnabé, malgré tout, — et c'est là d'où vient le drame, — aimait sa femme. Oh ! naturellement pas d'une manière habile, — ne va pas demander ça à Barnabé, — mais comme le brave Homme, simple, naïf, pas très dégourdi, disons-le, qu'il est !

Mme LETOURNIER, voulant intervenir. — Georges !

LETOURNIER. — Laisse, ma chérie ! Barnabé ne m'en veut pas de dire ça. Il sait l'ami que je suis pour lui et je lui ai prouvé mon dévouement. N'est-ce pas, Barnabé ?

BARNABE, sombre, mais résigné. — C'est vrai.

LÉPINEAU. — Cependant, je croyais que dans un cri..., dans un procès passionnel, l'acquittement était à peu près certain !

Letournier, riant très fort, avec affectation.

LETOURNIER. — Ah ! ah ! l'acquittement certain ! Vous l'entendez, Barnabé... On voit bien qu'il n'a pas vu le dossier. Les renseignements de police défavorables, les dépositions dangereuses, comme celle de Ciroupeaux. Vous vous souvenez ! (A Lépineau.) Sais-tu ce que pensait le nommé Ciroupeaux de ce gaillard-là (Prenant une cote de son dossier et lisant.) « Barnabé, c'en est un qui vaut pas les quatre fers d'un chien, c'est coléreux, traître et pas franc. » Et la déposition de Rouchard, qui l'avait vu menacer sa femme, et celle de la mère Sifon, qui avait recueilli, l'enfant au cours d'une scène entre les deux époux. Et celle de la veuve Saubouquet, et celle du pharmacien...

LÉPINEAU, s'excusant. — Bien, bien. Je ne faisais, d'ailleurs, que répéter ce que l'on m'avait dit.

LETOURNIER. — L'acquittement certain ! Tiens, laisse-moi lire. (Désignant Barnabé de plus en plus sombre.) Va donc demander à celui-là, s'il était certain de son acquittement et si c'était facile de plaider pour lui !

Barnabé regarde fixement les dessins du tapis et garde un silence lourd de colère contenue.

LETOURNIER. — Dame ! Quand on le voit comme ça, il n'a pas l'air terrible. Mais ne t'y fie pas. C'est un impulsif. Doux et patient à l'ordinaire, il devient violent et brutal sous l'empire d'une passion comme celle qu'il éprouvait ou même simplement, tout le monde a ses petits défauts, quand il lui arrive de boire plus que de raison.

BARNABE, entre ses dents. — J' suis pourtant pas un poivrot!

LETOURNIER. — Mais non, vous n'êtes pas un poivrot. Et je suis le premier à me rendre compte que dans un métier fatigant comme le vôtre, on peut, sans être un ivrogne, être entraîné à boire plus qu'on ne le devrait... (A. Lépineau.) Seulement, ça l'excite. Lui, bon comme une bête à Bon Dieu, en temps ordinaire, devient vindicatif, méchant et même sournois. Ajoute à cela la jalousie et tu auras un homme hors de lui, une bête féroce, capable de tous les mauvais coups.

BARNABÉ, grondant. — Ah ! mais ! Ah ! mais !

LETOURNIER. — Allez ! on le connaît l'animal, mieux certainement qu'il ne se connaît lui-même. Ça n'empêche pas d'avoir de l'amitié pour lui ! Votre main, mon vieux.

Et il serre la main que Barnabé lui donne sans empressement.

BARNABÉ. — Possible. Mais vaudrait mieux...

LETOURNIER, à Lépineau. — Et ça t'explique le drame sur lequel je ne reviens pas. Tu le vois d'ici. Elle, légère, insouciante, impudente même, revenant au logis, Dieu sait d’où ; lui, la suivant, la casquette baissée sur les yeux, rasant les murs, les yeux injectés de sang, la bouche tordue par un rictus affreux, ses poings énormes crispés...

Barnabé, froissant rageusement sa casquette, et à mi-voix.

BARNABÉ. — Cré nom de nom.

Mme LETOURNIER. — Georges, Georges ! Inutile de rappeler tout cela !

LETOURNIER, désignant Lépineau. — Si, si, c'est pour que Lépineau comprenne bien... (A Lépineau.) Et, déjà, tu devines la suite, la scène brutale, les gros doigts noueux qui se serrent.

Mme LETOURNIER, indicée. — Ah ! l'horreur !

LÉPINEAU, avec dégoût. — C'est ignoble !

BARNABE, cherchant à s'exciser. — j'étais fou..., je ne savais plus ce que je faisais. (Avec colère.) Mais, Bon Dieu de Bon Dieu, pourquoi revenir là-dessus ? j'ai fait un malheur, je le regrette. C'est bon, c'est fini ! Y a pas à en reparler.

Letournier, tout à son récit et désirant faire frémir son auditoire.

LETOURNIER. — Et après, hagard, horrible à voir...

BARNABÉ, éclatant. — Sacré tonnerre, en voilà assez ! Je ne suis pas méchant, mais faut pas m'échauffer les sangs.

LETOURNIER, surpris et un peu effrayé. — Mais, mon bon Barnabé...

BARNABÉ. — Y a pas de bon Barnabé qui tienne, j'en ai plein le dos de vos machins, de vos manigances, de vos petits chichis : Barnabé qu'est un ci, un ça, un bonhomme ridicule, un qu'est pas intelligent, une bête féroce, un horrible à voir. Est-ce que je dis, moi, que vous avez l'air d'un gros bouffi. (Indigné.) V m'entendez, je suis c' que j' suis, mais je ne laisserai pas un homme qu'est pas même fichu de soulever 30 kilos se payer ma tête. (A Lépineau.) Parce qu'on est du pauvre peuple et qu'on a eu des malheurs, ça se croit tout permis, (De plus en plus monté.) Mais, Bon Dieu, on n'embête pas longtemps Barnabé, je vous préviens, ou sans ça, j' fais' un malheur!

Il allonge des coups de poing formidables sur une console où de délicates porcelaine et les fines statuettes se mettent à osciller de la manière la plus inquiétante.

Mme LETOURNIER, terrifiée. — Ah ! mon Dieu !

BARNABÉ, hurlant. — Sacré tonnerre ! j' sens la moutarde qui me monte au nez (Menaçant.), et si je ne me retenais...

Letournier, réfugié derrière la table avec amertume.

LETOURNIER. — Un homme que j'ai sauvé !

BARNABÉ. — Ah ! Je lui conseille de parier à celui-là ! Un homme qui a pas seulement] été fichu de dire à l'audience que mon oncle avait eu une médaille de sauvetage. Oh ! là, là, mince d'avocat.

Nouveaux coups de poing sur la table, qui font s'écrouler et se briser en une infinité de petits morceaux un élégant cygne en lisent de Sèvres.

Mme LETOURNIER, affolée. — C'est épouvantable !... Il faut appeler !

LÉPINEAU. — Vous n'avez pas honte, mars à quoi pensez-vous ?

Barnabé, exaspéré, marchant sur Lépineau qui se retranche prudemment derrière un fauteuil

BARNABÉ. — Qu'est-ce que tu dis, toi, l’allumette ?

Mme LETOURNIER. — Georges !

Letournier, apparaissant tout petit dernière sa table, et avec un voix mal assurée.

LETOURNIER. — Allez-vous-en.

BARNABÉ. — Si je veux bien. Ah ! Et puis tenez, je vous ai assez vus, vous et votre clique, et je tiens pas à y moisir plus longtemps dans votre sale baraque. Mais, bon sang de bonsoir, j' vous conseille plus de fiche encore des boniments à la figure du, pauvre monde, ou, sans ça... C'est malheureux tout de même...

Le reste se perd au milieu de jurons énormes, de portes qui claquent, de vitres brisées, de hurlements de la domestique. Lépineau, lui-même très ému, s'empresse auprès de Mme Letournier, à demi évanouie. Letournier blême, les cheveux collés aux tempes, se dressant de toute sa hauteur derrière sa table, haletant le poing menaçant, s'écrie, certain que Barnabé ne peut plus l'entendre.

LETOURNIER. — La brute !... Le misérable !... Comme si on ne devrait pas guillotiner tout ce monde-là.

PIERRE GINTSTY
(Les Annales Politiques et Littéraires du 28 décembre 1913).

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

DIALOGUES DU PALAIS : Un divorce, - La première visite, - Une plaidoirie interrompue, - Le cas de M. Boniface Poivre-Didier, - Comptable, etc. (Les Annales politiques et littéraires).

CHRONIQUES DRAMATIQUES (Les Annales politiques et littéraires).

ENTRETIENS FAMILIERS SUR LE DROIT (conférence).

Au théâtre :

JOUR D'ÉCHÉANCE, un acte en collaboration avec Raymond Gent y (Salle du Journal},

CHAMBRE D'AMI, un acte en collaboration avec Louis Sonolet (Théâtre Michel).

BARNABÉ (Odéon).