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Les Femmes de Karantina de Nael Eltoukhy

  Nael Eltoukhy appartient à cette nouvelle génération de jeunes écrivains qui marquent fortement de leurs noms la littérature égyptienne d’aujourd’hui. Après Chronique du temps de la guerre de 2006, son premier roman – inédit en France – Actes-Sud nous offre son étrange et envoûtant second roman Les Femmes de Karantina. Une saga familiale qui s’étale sur trois générations jusqu’en 2064.

  La toile de fond devant laquelle se déroulent les aventures burlesques et parfois tragicomiques de ce roman, est une ville : Alexandrie. Une ville qui essaye de retrouver son prestige d’antan, sa fierté de cité cosmopolite et de supplanter Le Caire pour devenir la capitale de l’Egypte. « On peut dire, écrit Nael Eltoukhy, que les Alexandrins ne se sont jamais affranchis de leur vieux rêve : celui de voir Alexandrie, leur ville chérie, havre du monde libéré dans le Nord du pays, ravir au Caire son statut de capitale et retrouver le lustre ancien, cet éclat qu’elle avait encore au temps de sa gloire passée mais qui est aujourd’hui noyé sous des monceaux de poussière. »

  Dans le roman pour arriver à ce but les Alexandrins cherchent un leader, quelqu’un qui  saurait provoquer les autorités de la ville et par conséquence du pays lui-même. Cet être providentiel ils le trouveront en fait dans un couple, celui d’Inji et ‘Ali. Arrivé à la gloire par des actes de violence et de refus de respecter l’autorité, ils dresseront dans le quartier de Karmouz un immeuble, l’immeuble de la Karantina d’où ils pourront par leurs trafics et leurs méfaits dominer la ville. Ce rôle sera ensuite tenu par leur héritier, leur fils Hamada, personnage malgré tout nanti d’une certaine sensibilité d’artiste. Il s’entourera d’amis, d’hommes de confiance, qui en fait n’existent que dans son imagination. Après un règne de terreur, il mourra dans un acte de bravoure d’une extrême violence qui laissera la Karantina à feu et à sang. Il a toutefois eu le temps d’engendrer deux enfants, deux filles, Yara et Lara, qui seront élevées par Inji leur grand-mère seule rescapée de ce jeu de massacre et reprendront fièrement le flambeau du destin de leur lignée.

  Les Femmes de Karantina est un livre plein d’humour et de situations rocambolesques, écrit avec une plume leste et moderne. Nael Eltoukhy introduit dans les dialogues le langage parlé des Alexandrins, traduit en français par Khaled Osman avec beaucoup de bonheur. Ainsi, nous retrouvons, à la lecture de ces conversations entre gens du peuple, la fraîcheur et l’humour des quartiers populaires d’Alexandrie.

 Cette histoire qui s'écoule sur trois générations, racontée en de plus ou moins courts et dynamiques paragraphes, nous entraîne avec un réel plaisir de lecture jusqu’à la chute de l'aventure de cette improbable famille. Une lecture qu’il serait bon de goûter, de préférence, avec pour fond sonore de la musique égyptienne.

  On peut imaginer que Nael Altoukhy a cherché derrière l’ironie qui transpire de son écriture à brosser une critique à peine voilée des intrigues et de la corruption qui règnent ou ont régné dans certains milieux égyptiens.

  Les personnages de Les Femmes de Karantina, sont décrits à grands traits caricaturaux et évocateurs. Ces descriptions souvent hilarantes pourraient, pourquoi pas, inspirer un jeune dessinateur de bandes dessinées (Egyptien ou pas) en panne d’histoire devant sa planche blanche. Il trouverait dans cette saga familiale un thème nouveau pour un futur ouvrage. Nael Altoukhy lui a d’ailleurs déjà mâché le travail, avec sa plume alerte, qui laisse défiler sous nos yeux et entre les lignes du roman, les images de page en page de cet univers pittoresque.
  Oui, une bande dessinée ou encore pourquoi pas un péplum alexandrin à la mode d’Altoukhy.

  Encore jeune – il est né en 1978 –, Nael Altoukhy nous réserve sûrement d’autres romans de la trempe de Les Femmes de Karantina. Il faudra donc surveiller la publication de ses prochains ouvrages.

   David Nahmias (10/2017)

111 el toukhyLes Femmes de Karantina
Actes Sud

 

1111nael20el20toukhyNael Eltoukhy
Né en 1978, diplômé en langue et littérature hébraïques, Nael El-Toukhy est journaliste (il a travaillé pour le grand hebdomadaire littéraire Akhbâr al-adab) et traducteur. On lui doit des recueils de nouvelles, une novella et deux romans. Le premier, Chronique du temps de la grande guerre de 2006, a reçu un grand succès critique. Les Femmes de Karantina a été unanimement salué comme l'une des œuvres les plus marquantes de la nouvelle littérature égyptienne.

 

41ebqlnjn2l sx324 bo1 204 203 200Couverture de la version anglaise

Nessä Al-Karantina a été publié au Caire en 2013 aux éditions Merit. Il a été traduit en anglais par Robin Moger, sous le titre Women of Karantina, et publié en 2014 à l’AUC Press. Sa traduction française par Khaled Osman est sortie aux éditions Actes Sud en septembre 2017