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Le Perroquet Vert de la Princesse Bibesco

  Marthe 2Par une matinée estivale du début des années 2000, à l’étal d’un bouquiniste installé sur le marché de Caudebec en Caux, je tombais, par hasard, sur un livre au titre étonnant, Le Perroquet Vert de la Princesse Bibesco. Vu l’année de sa parution, 1924, me vint aussitôt à l’esprit, qu’il avait voyagé une grande partie du XXème siècle, à travers bibliothèques et cantines, avant d’arriver dans le Cotentin.

  C’était, pour préciser les choses, un exemplaire de presse, affilié à la collection Les Cahiers Verts, publiés sous la direction de Daniel Halévy. Sous l’œil du bouquiniste, je l’ouvris à la première page, qui comportait une dédicace de son autrice, écrite à l’encre marron : « A monsieur Armand Praviel*, en témoignage de sympathie littéraire, signé, Princesse Bibesco. »

  Je lus le premier paragraphe, « Il y a des Russes de Nice comme il y a des violettes de Parme, de Toulouse. Nous appartenions, nous, à cette variété parente, les Russes de Biarritz ; nous étions une famille de la Côte d’Argent. Mais nous étions surtout une famille en deuil… »

   Il n’y avait plus à hésiter, j’achetai ce trésor pour le coût modique de 1€. Le soir même, dans ma chambre à l’hôtel La Marina je le dévorai.

 Au petit matin, feuilletant ses pages jaunies, flétries par le temps, je m’interrogeai sur le caractère autobiographique de cet ouvrage, balisé de bout en bout par un imaginaire habité d’une folie douce. Son atmosphère était étrange, à la limite du vraisemblable et de l’invraisemblable. Un peu troublé par son sujet, j’en refis une deuxième lecture.

 La narratrice, – une des enfants d’une famille noble russe en villégiature à Biarritz –, racontait l’histoire de son frère Sacha mort prématurément à huit ans de la fièvre typhoïde. Cet enfant, vénéré de son vivant, et l’impossibilité d’en faire le deuil faisait que, chaque année, au mois d’avril, la famille célébrait son anniversaire funèbre : « on exposait ses vêtements sur le lit où il avait expiré ; sa chambre était transformée en chapelle ardente. On ne s’y tenait qu’à genoux. »

  C’était un hymne au jeune défunt véhiculé par la famille, « Notre frère qui êtes au Ciel, que votre règne arrive », pour laquelle, selon ses croyances, le passage terrestre, si douloureux soit-il, n’était qu’une étape intermédiaire, avant la beauté infinie du royaume promis par un dieu supposé orthodoxe, invisible et omnipotent.

  Embourbé dans mes pensées – ce livre avait quelque chose d’insolite –, je m’en allais marcher sur les bords de la Manche. J’aime la Normandie et son climat souvent embrumé.

  Mais revenons-en à l’histoire. Un jour, la narratrice (personnage principal du roman) tombe folle amoureuse d’un perroquet vert, sorti inopinément d’une maison, « il m’apparut en plein vol, les ailes éployées, éblouissant et rapide, comme un ange pourvu d’un bec », et venu se poser sur son manchon de loutre, alors qu’elle se rendait à la messe en compagnie de sa mère. Elle se sent prise de vertige à la vue de cet oiseau sorti de nulle part, symbolisant à ses yeux Sacha et son retour du ciel. Mais une femme s’approche et vient reprendre l’oiseau.

   Quelques mois plus tard, passant en compagnie de sa tante Alex devant la boutique d’un oiseleur, elle aperçoit, sur un perchoir le même perroquet… à vendre. Sa tante souhaite lui acheter en guise de cadeau d’anniversaire, mais son père refuse l’oiseau. Alors, elle va se pendre à l’aide de sa corde à sauter, sauvée in extrémis par mademoiselle Vignot son institutrice. Après quoi, l’enfant contracte le typhus dont elle réchappe par miracle. « Mais le changement moral… fait qu’elle est devenue indifférente… mon organisme avait tué en moi le germe de tout désir. »

  Sur les bords de la Manche, assis sur une plage de sable doré, protégeant mon livre d’un vent de mer, je poursuivis ma relecture.

 Marthe bibesco La narratrice (jamais nommée) a dix ans, lorsque sa sœur Marie vient au monde. Dans un ravissement spéculaire, « elle admire, sans se sentir coupable, l’innocente beauté de Marie. » Elle est dans une sorte de rêverie, où le ciel lui entonne de l’aimer comme elle-même.

  A la même époque, elle y fait la découverte à Gatchina, de la terre russe de ses aïeux, d’où son père avait été chassé par son propre père, « comme Adam, il était parti, n’emmenant que sa femme. » Elle y fait la connaissance de sa grand-mère et de sa grand-tante Sophie qui lui énonce qu’elle ressemble à Marie Serguïevna Dalgoroukine son arrière-grand-mère surnommée la Rose de Saint-Pétersbourg. Pour lui en donner la preuve, Sophie lui montre les portraits, réunis au fond d’une boite, de Marie Dalgoroukine et son frère Alexandre, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à un certain Sacha né soixante-dix ans plus tard. Elle prend conscience des sentiments problablement incestueux qu’à Biarritz, elle et son frère mort, entretenaient l’un pour l’autre, « d’une anomalie nommée Le grand péché ». 

   Sa grand-tante, venait de l’initier au mystère de Gatchina. Lui revenaient les paroles véhiculées sous le manteau par les domestiques, elle et ses sœurs, sont « enfants de cousins germains, c’est-à-dire des enfants pas comme les autres. »

  Vers la fin de ce livre insolite, il est question de trois colonels, « des vieux garçons », blessés sur les champs de bataille de la Grande Guerre, qui s’en viennent en convalescence à la villa de Biarritz. Marie leur tient compagnie. Mais, « il y a également un nouveau venu parmi les convalescents : Sir Renell Page, un neveu de tante Alex », un gamin immature dont Marie tombe amoureux. Il ne l’aime pas et la jeune femme finira de dépit par se suicider.

  Pour finir, Gordon, un des trois colonels, achète à la narratrice chez un oiseleur de Venise un perroquet vert, mais il est trop tard, l’oiseau ne la console en rien de sa solitude. Victime d’une étrange fatalité, l’héroïne entre à « la Trappe », chez les Bernardines et part en mission religieuse à l’extrême sud de l’Inde.

 De retour à l’hôtel, je me mets à l’écriture de cet article sur Le Perroquet Vert, un voyage singulier à travers la vie de son autrice, Marthe Bibesco, une jeune femme qui appartient à une famille aristocrate roumaine prestigieuse. Le thème du livre en est un inceste héréditaire dont les conditions se retrouvent à chaque génération.

 D’une écriture faite de larmes et de nostalgie, en un long monologue intérieur, elle nous relate le deuil jamais accompli de son propre frère Georges, enfant surdoué, mort de la diphtérie à l’âge de huit ans. Les éléments de la fiction n’étant que des « copier-coller » de sa réalité existentielle : la Russie voulant dire la Roumanie, l’institutrice française mademoiselle Viaud de « la vraie vie », s’appelant dans le roman mademoiselle Vignot.

 A sa parution en 1924, Le Perroquet Vert reçoit un concert de louanges. Max Jacob adresse une lettre dithyrambique à Marthe Bibesco. La critique est unanime pour en saluer les qualités.

* Armand Praviel, né à L'Isle-Jourdain (Gers) le  et mort à Perpignan (Pyrénées-Orientales) le , est un poètejournaliste, critique littéraire, comédien et romancier français.

                                                                                                                                                    Patrick Ottaviani (4/2020)

Couverture perroquet

 

Le perroquet

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