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Jean-Paul Bouchasson

 

 

 

 

 

 

 

 

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  Imaginez un wagon à marchandises avec, sur un tiers de sa surface, une pièce aménagée avec bancs de part et d’autre d’une table, à droite de la porte qui permettait l’entrée dans cette maison de poupée ; sur la gauche, un petit poêle rond, posé sur une plaque de tôle clouée au plancher. Je reconnaissais de loin le fourgon du chef de train, parce qu’il était le seul wagon dont le toit s’ornait d’une petite cheminée ronde ( le tuyau du poêle) surmontée d’un chapeau chinois surélevé par trois pattes métalliques. A la paroi, des casiers de bois où le titulaire classait les bordereaux et les différents imprimés dont « la Compagnie » était très friande. Il y rangeait également la pesante sacoche de cuir épais dont la tranche du soufflet accueillait la boîte à pétards réglementaires, ces charges de fulminate qu’il devait fixer par clips (deux lames ressorts épousant le profil du rail), à une distance convenue, pour alerter un train suiveur d’un arrêt accidentel de son propre convoi. Il pouvait y remiser le petit drapeau rouge de signalisation, sa lanterne réglementaire de laiton et cuivre, au pied rond et qui répandait avec son halo de lumière une forte odeur de carbure ; dans cet aménagement figurait aussi, fixé à la paroi de bois, un portemanteau où il suspendait la lourde capote de drap bleu marine, à boutons argentés, quasi militaire.

  De cette pièce minuscule, à l’abri du vent, de la pluie, se dégageait pour moi une sensation d’organisation et paradoxalement de liberté. C’était la roulotte ou la coquille de l’escargot… Dans le calme de cette thébaïde immobile, baignée de l’odeur si particulière du bois traité à la créosote, avec, s’y mêlant, comme une réminiscence de feu de charbon émanant du poêle froid, que de longs voyages ai-je effectué, que de contrées étranges ai-je traversé, solitaire, rêvant sur mon banc !

  Le cinéma où j’étais quelquefois allé, en compagnie de Jean-Michel et de Guyssett, m’offrait et d’inépuisables aventures où alimenter mes rêves.

  Comme ce film en noir et blanc, Les Pirates du rail,  dont l’action se déroulait en Chine au début du XXIème siècle. Je me remémore les faces cruelles des seigneurs de la guerre chinois, les sabres qu’ils maniaient si habilement pour décapiter les Européens venus construire une ligne de chemin de fer. Ma grande sœur Paulette m’offrit ma première séance de cinéma : je pense que cette projection eut lieu dans la salle située dans la cour de l’hôtel  du Grand Monarque. C’était une histoire qui opposait soldats anglais et bédouins dans le désert.

  Je vis aussi, peut-être dans sa première version, le film tiré de l’œuvre de Jules Renard, Poil de carotte : j’étais bon public. Mon cœur se serrait à l’évocation des souffrances de ce petit garçon nivernais : mes yeux étaient brouillés de larmes lorsque, désespéré, il songe à se jeter dans la rivière… Et que son monologue lui fait dire :

  - L’eau doit être bien froide  .

  J’ai vu aussi, à Donzy, La grande illusion de Renoir, et D’homme à homme retraçant la vie d’Henri Dunant, le fondateur de la Croix rouge. C’était un très beau film, j’y vis les coulisses de la bataille de Magenta (ou était-ce plutôt Solferino ?) : les blessés amputés sans anesthésie, ayant pour seul obstacle à leurs cris de douleur une cartouche à mordre comme le tape-en-goule des galériens, pendant qu’à quelques mètres de là un grand bal à crinolines et uniformes chamarrés se déroule sous les lustres de cristal d’un palais. Ma mémoire a retenu une autre scène du film : pendant le siège de Paris en 1871, un membre de la Croix Rouge debout dans une barque traversant la Seine, balance de droite à gauche et de gauche à droite le célèbre drapeau, pour interrompre les tirs, le temps d’évacuer les blessés : j’avais le cœur dans un étau en voyant ces images.

  Il y eut d’autres films, plus légers, avec souvent des musiques de Georges Van Parys, Paul Misraki, Ray Ventura. Des films musicaux dans lesquels les vedettes principales s’appelaient Fernandel, Bourvil, Danielle Darrieux, Henri Genès et Dany Robin.