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Goncourt 1978

 Rue des Boutiques Obscures
Patrick Modiano
Editions Gallimard 1978, Edité en Folio

 

Le Jour,

 Au deuxième étage du restaurant Drouant, Armand Lanoux annonce le 17 novembre 1978 que le prix Goncourt est attribué à Patrick Modiano pour son roman Rue des Boutiques Obscures publié chez Gallimard.
Le Paris de l’année 1978 est celui des derniers Krishna au carrefour de l’Odéon, des derniers shorts pour les femmes, sabots et pantalons pattes d’éléphant pour les hommes.
Les écologistes du Larzac sont montés manifester en décembre sur la capitale pour sauver « leurs terres ».
Jean-Paul Sartre distribue La cause du peuple
 dans les rues. 

 
 

Le Goncourt,

   L’histoire est celle de Guy Roland, un homme qui semble ne pas avoir toujours porté ce patronyme. Il est l’employé d’un certain Hutte (plus exactement le baron balte Constantin von Hutte) patron d’une agence de police privée. Celui-ci prend sa retraite et se retire à Nice. Au moment où les deux hommes se séparent, Roland confie à Hutte qu’il a une piste sur son passé d’amnésique.
   Ainsi va commencer pour Guy Roland une longue et poignante quête identitaire à travers une réalité parisienne mi-surréaliste, mi-rêvée, "je ne suis rien. Rien qu’une silhouette claire". Il va traquer les ombres étranges de son passé - "je me voyais marcher dans un Paris obscur"- emberlificoté dans le doute car les indices recueillis seront désordonnés et flous.

  Guy Roland rencontre Stioppa de Djagoriew dans son appartement de la rue Julien-Pottin. Il pense qu’ils se sont croisés autrefois, mais Djagoriew n’en a pas vraiment le souvenir. D’un buffet, celui-ci ressort une boîte rouge avec des photos. Sur l’une d’entre elles, Guy Roland pense semble figurer aux côtés d’une fillette - Gay Orlow - et un vieux russe, Giorgiadzé.
Dans les jours qui suivent, il fait la connaissance à l’hôtel Hilton d’un pianiste Waldo Blunt qui se souvient bien de Gay Orlow (avec laquelle le musicien s’est marié il y a longtemps pour lui donner la nationalité américaine).
    Nouvelle piste donc !
  Waldo Blunt lui signale qu’aux Etats-Unis il a rencontré un Français Howard de Luz qui a bien connu Gay Harlow.
   Quelques incertitudes plus loin, Roland récupère une boite de biscuits avec des photos. Au dos de l’une d’entre elles - où figure une jeune femme aux cheveux clairs - à l’encre bleue, un nom : Pedro et un numéro de téléphone ANJOU 15-28.

  ANJOU 15-28  à l’adresse : 10 bis rue Cambacérès.

   Là, au premier étage d’un petit immeuble, il fait la connaissance de Hélène, une femme qui l’appelle monsieur McEvoy, il se serait donc appelé un jour, Pedro McEvoy. Par ailleurs, il aurait habité dans l’appartement de cette Hélène, en compagnie d’une certaine Denise, avec laquelle il serait parti pendant la guerre pour Megève et on ne les aurait jamais revus.
   Quel parcours labyrinthique ! A travers passages clandestins, pièges fumeux, fantômes interlopes… Mais Guy Roland, ne renonce jamais. Un peu à la manière des contes, de complaisants adjuvants le renseignent et il poursuit sa route "d’itinéraires qui se croisent, parmi ceux que suivent des milliers et des milliers de gens à Paris, comme mille et mille petites boules d’un gigantesque billard électrique, qui se cognent parfois l’une à l’autre. Et de cela il ne restait rien, pas même la traînée lumineuseque fait le passage d’une luciole."
   La mémoire va finir par tamiser un peu ses opacités et Guy Roland identifier celui qu’il fut. Il remonte la  piste d’une certaine « Denise Coudreuse » en un suspens intéressant jusqu’au dénouement féroce de Megève, moment de la disparition des uns et des autres au milieu de la guerre : Gay Orlow, Freddie, lui même, Denise et le jockey anglais Wildmer.

   Mais que d’agendas consultés ! De numéros de téléphone. De noms de personnes. De bottins. De fiches de police. De boites de photos. Et que de personnages aux noms insolites ! Stioppa de Djagoriew, Giorgiadzé, Oleg de Wrédé, Freddie Howard de Luz, Pedro McEvoy, Paul Sonachitzé, Scouffi, Dédé Wildmer.
   La réalité narrative de Patrick Modiano n’est jamais topographiée de tangibles repères. Les êtres se croisent sans jamais chercher à établir de liens, comme si un système inconscient leur en empêchait le tissage.
   Avec Rue des Boutiques Obscures, il nous invite à l’intérieur de la vie d’un homme. Qui je fus ! Comme écrivit un jour, Henri Michaud. Et au bout du compte, on peut se demander si le parcours de l’amnésique Guy Roland ne ressemble pas à celui de chacun. Avec son lot d’errances. D’approximations. Ses remises en cause. Ses abandons. Ses recentrages. Et cette interrogation universelle plus ou moins larvée : Quel pourrait être le sens de cet éphémère passage terrien d’un homme ou d’une femme.

 

Extrait du livre :


    Pas grand-chose dans cette boite de biscuits. Un soldat de plomb écaillé avec un tambour. Un trèfle à quatre feuilles collé au milieu d’une enveloppe blanche. Des photos.
   Je figure sur l’une d’entre elles. Aucun doute, c’est le même homme que celui que l’on voit à côté de Gay Orlow et du vieux Giorgiadzé. Un brun de haute taille, moi, à cette seule différence près que je n’ai pas de moustache. Sur l’une des photos, je me trouve en compagnie d’un autre homme aussi jeune que moi, aussi grand, mais aux cheveux plus clairs. Freddie ? Oui, car au dos de la photo quelqu’un a écrit au crayon : « Pedro-Freddie-La Baule. » Nous sommes au bord de la mer et nous portons chacun un peignoir de plage. Une photo apparemment très ancienne.
   Sur la deuxième photo, nous sommes quatre : Freddie, moi, Gay Orlow que j’ai reconnue aisément, et une autre jeune femme, tous assis par terre, le dos appuyé au divan de velours rouge de la salle à manger d’été. A droite, on distingue le billard.
   Une troisième photo représente la jeune femme que l’on voit avec nous dans la salle à manger d’été. Elle est debout devant la table de billard et tient une canne de ce jeu dans les deux mains. Cheveux clairs qui tombent plus bas que les épaules. Celle que j’emmenais au château de Freddie ? Sur une autre photo, elle est accoudée à la balustrade de la véranda.
   Une carte postale à l’adresse de « Monsieur Robert Brun chez Howard de Luz. Valbreuse. Orne » offre une vue du port de New-York. On y lit :
   « Mon cher Bob. Amitiés d’Amérique. A bientôt Freddie. »
 

 

Patrick Ottaviani (05-2012)

 

 

Quelques œuvres de Patrick Modiano

Romans

La place de l’étoile, Gallimard
La ronde de nuit, Gallimard
Les boulevards de ceinture, Gallimard
Villa triste, Gallimard
Livret de famille, Gallimard
Dora Bruder, Gallimard
Un pedigree, Gallimard
En collaboration avec Louis Malle :
Lacombe Lucien, Gallimard

Nouvelles

En collaboration avec Marie NDiaye et Alain Spiess
3 nouvelles contemporaines : La Seine – le jour du président – Pourquoi ? (Bibliothèque Gallimard)

 

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Actualités littéraires de l’année 1978

 Du côté de Paris,

9 février 1978. Le livre de poche fête son 25ème anniversaire et 500 millionième exemplaire.
En cours d’année Pascal Jardin publie chez Julliard Le nain jaune, tandis que, en contre-enquête de l’affaire Christian Ranucci, Gilles Perrault publie Le pull-over rouge.
François Cavanna Publie un roman autobiographique, Les Ritals.
A l’automne paraît le superbe livre de George Perec La vie mode d’emploi.

 Du côté de l’étranger,

En Italie, Primo Levi, publie La clé à molette, Prix Strega.
Du côté de la Belgique, paraît L’herbe à brûler de Conrad Detrez aux éditions Calmann-Lévy.
Aux Etats-Unis, William Luther Pierce publie le sulfureux roman d’anticipation Les carnets de Turner. James A. Michener publie Chesapeake, une vaste fresque historique s’étendant sur quatre siècles.

L’auteur

 

Patrick Modiano a 33 ans lorsqu’il est proclamé lauréat du prix Goncourt. Il est déjà l’auteur de six romans dont Les Boulevards de ceinture, Grand prix du roman de l’Académie française.
Son enfance et ses racines ont été mal vécues. Il a été longtemps pensionnaire à l’école du Montcel à Jouy-en-Josas, puis à Thônes (Haute-Savoie) au collège Saint-Joseph, enfin au lycée Henri IV à Paris. Son père Albert, juif italien, dont la figure hante une grande partie de son œuvre en particulier dans Pedigree, était un père absent. Sa mère, Luisa Colpeyn, actrice, qu’il évoque dans l’autofiction Livret de famille était souvent partie en tournées. Un drame de son enfance est la mort de son jeune frère Rudy à l’age de dix ans.
Raymond Queneau, un ami de sa mère, sera son Pygmalion littéraire.
Chez Patrick Modiano, il y a une sorte de fascination pour ses racines identitaires, qu’il dérègle ou re-règle volontairement. Entre autre celle de sa date de naissance, qu’il affirme longtemps médiatiquement être le 30 juillet 1947, alors qu’il est réellement né le 30 juillet  1945.
La trentaine de romans de son œuvre se nourrit pour l’essentiel de personnages désordonnés, atypiques, qui se battent contre ce sentiment d’impuissance à comprendre les désordres de leur passé.
 Mais il y a une « magie Modiano » et une forme de résilience  cyrulnikienne  à rebondir dans l’écriture, entre fiction rêve et réalité, peut-être avec le désir inconscient d’une place entre l’ombre d’un père et celle d’un frère.

Modiano se remémorant l'ancien cinéma Pax qui fut transformé en supermarché

 

Cliquez ici pour voir sur le site d'Encres Vagabondes la chronique sur le dernier roman de Patrick Modiano - Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier