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Goncourt 1942

Pareils à des enfants
Marc Bernard

Editions Gallimard 1942, Edité en folio

 

Le Jour,

 Le 20 décembre 1942, chez Drouant, le prix Goncourt est attribué à Marc Bernard pour son livre Pareils à des enfants publié chez Gallimard.

goncourt 1942

Il a été élu au 1er tour par 7 voix contre 1 à Germaine Beaumont (Du côté d’où viendra le jour) et 1 à Lucien Rebatet (Les décombres).
Le jury était composé de Sacha Guitry, Rosny jeune, monsieur Benjamin, Jean Ajalbert et Jean-Balthazar Mallard comte de La Varende.

C’est la guerre.
La France est occupée et affamée.
Marc Bernard vit en province dans le dénuement avec sa femme Else et sa fille Marie.
C’est dans ce contexte qu’il apprend par la radio la nouvelle : il est lauréat du prix Goncourt. Pour des raisons de sécurité, il ne se rendra pas à Paris recevoir son prix.
Même si une  pénurie de papier freine le tirage de ce Goncourt 1942, en quelques jours le roman est épuisé. L’argent touché par Marc Bernard le sauve lui et sa famille.

Le Goncourt,

Léonard Bernard vient de passer le cap de la quarantaine et raconte son enfance. On est au début du XXième siècle, à la Croix-de-Fer, un quartier populaire de Nîmes. C’est là que l’on découvre Léonard, garçon de huit ans, hardi et joueur, aux cheveux roux. On le surnomme Nanay. Tout va bien sauf que son père Juan, « amateur de jupons », trompe sa mère avec « la dame de la villa.» Les parents se séparent. Son père part pour l’Amérique rejoindre Jean, le frère de Léonard qui s’y trouve déjà.
  Nanay et sa mère déménagent à la ville ; madame Bernard devient lavandière.
  Au fil des pages, les souvenirs affleurent avec autant de plaies et de blessures que de petits bonheurs. Apprenti chez un cordonnier, le jeune garçon se lit d’amitié avec Baldy un ouvrier alcoolique en mauvaise santé qui finit par « casser sa pipe. »
 A nouveau changement de lieu d’habitation.
 Léonard s’en va habiter dans un château où sa mère sera cuisinière.
 Il y fait la connaissance de la petite fille d’un fermier Allégreta… Un jour d’orage, main dans la main, ils courent à travers les bois et se réfugient dans un abri. Pressés l’un contre l’autre, ils regardent sous la pluie les feuillages aux « éclats verts et argentés » ; ils sont au paroxysme de l’éveil sensuel enfantin. 

Retour à la ville.             .Ville de BARJOLS, carte postale ancienne

 Madame Bernard reprend son métier de lavandière.
 Nanay découvre une maison close, la corrida et devient le confident de Betty, la soeur de son ami Samuel. Celle-ci meurt d’amour et confronte Léonard à un lourd secret.
 Son frère Jean revient d’Amérique pour faire son service militaire et prend en charge son éducation. Promu sergent, son jeune frère de militaire, éblouissant dans son uniforme à dorures et pompon, l’emmène au cinéma. On les salue à travers les rues de Nîmes. Léonard enivré de joie est au comble de l’ivresse.
On pourrait raconter bien d’autres petits faits sur cette enfance rude, jamais triste.

 Pareil à des enfants, est le livre de la vie des quartiers populaires écrit par une grande plume de la littérature.
 C’est le livre des ruelles bordée de brocanteurs et de bistrots. C’est le livre de la misère, de la débrouille, avec des camarades de classe qui « tirent une grande fierté d’avoir une mère entretenue. »
 A travers ces ambiances début XXème siècle, réelles ou inventées , Léonard cherche son chemin. Il développe des forces contre l’infortune, se compose des repères. Il apprend à rebondir pour ne pas être dévoré par des sentiments de solitude et d’irréalité. Et quand c’est trop insoutenable, il « ensevelit ses souvenirs dans la part la plus noire de sa conscience. »
 Madame Bernard est le référent de son fils, son cadre. Léonard voue un amour immense à cette lavandière, aux mains rougies et crevassées, exténuée par le travail et la misère.
 Un jour, à la sortie de l’école, il l’a renie en la présentant à un camarade comme sa bonne parce qu’il « repousse avec horreur l’existence misérable qui consume sa mère, la vieillissant avant l’âge ». 

 Ce 38ème Prix Goncourt, écrit dans les tourments de la guerre, n’y fait jamais allusion. A quarante ans, Marc Bernard – Léonard Bernard - à travers un livre à caractère autobiographique et initiatique de toute beauté, nous livre un hymne à l’enfance.

 

 Extrait du livre : 

  A l’âge de huit ans, je quittai la Croix-de-Fer, pour aller habiter rue du Chapitre, dans une très vieille maison. Notre appartement se trouvait dans une cour étroite où, en toutes saisons, ne tombait qu’une lumière grise qui me glaçait le cœur ; de plus les fenêtres étaient fermées par de grosses barres de fer, ce qui ajoutait à mon poignant sentiment d’exil, d’emprisonnement. Liberté, chère sainte Liberté, c’est là, dans ce logement humide, que j’ai appris à t’aimer. Que de fois, le front appuyé contre les froids barreaux, j’ai rêvé à ma garrigue soleilleuse aux hautes carrières blanches où nous courions après les lézards.

A la sortie de l’école je m’asseyais devant le couloir, sur l’une des bornes charretières, tandis que la nuit descendait lentement dans notre rue étroite ; j’attendais le retour de ma mère. La cloche de la cathédrale sonnait dans le silence : le son venait de très haut, il passait au-dessus des toits, me semblait-il, sans descendre. Je demeurais là, le menton dans la main, à me gorger de tristesse ; jamais ce crépuscule n’aurait de fin, jamais la chère ombre ne paraîtrait au détour de la rue, jamais je n’en finirais d’attendre, jamais les ténèbres ne cesseraient de monter, de s’épaissir dans mon coeur, dont je sentais d’instant en instant les battements faiblir ; une espèce d’étouffement me gagnait, une brume se plaçait entre moi et le monde, dans laquelle passaient des êtres bizarres qui marchaient sans bruit, sans but, seuls ou par deux. Des couples entraient dans le passage dont l’une des entrées se trouvait en face de notre couloir. 

                                                                                            Patrick Ottaviani (03-2012)

Quelques œuvres de Marc Bernard 

Romans

 Zig-zag, Gallimard
Annie, Gallimard (Prix interallié)
Pareils à des enfants, Gallimard (Prix Goncourt)
La mort de la bien-aimée, Gallimard
Au fil des jours, Gallimard

Essais

Les journées ouvrières des 9 et 12 février, Grasset
La conquête de la Méditerranée, Gallimard
Sarcellopolis, Flammarion

Théâtre

Las Voix, Gallimard
Le Carafon, Gallimard

Nouvelles

Rencontres, Gallimard
La Bonne Humeur, Gallimard
Vacances, Grasset

 

 

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Couverture

 

Actualités littéraires de l’année 1942

 Du côté de Paris,

Albert Camus publie L’Etranger et le mythe de Sisyphe, Raymond Queneau Pierrot mon ami et Aragon Les voyageurs de l’impériale.

 Du côté de l’étranger,

 Sur les falaises de marbre, de Jünger est traduit par H. Thomas. La plume empoisonnée d’Agatha Christie est publié en éditions originales anglaises et britanniques. L’écrivain allemand Flieg (sous le pseudonyme Stefan Heym) publie Otages en langue anglaise.

Sisyphe, Raymond Queneau Pierrot mon ami et Aragon Les voyageurs de l’impériale.

 L’auteur, 

 

 Marc Bernard publie son premier livre chez Gallimard en 1929. Remarqué par Jean Paulhan, il devient son ami. Avec Annie, il reçoit en 1934 le prix Interallié. Lauréat du prix Goncourt en 1942, il est déjà un écrivain reconnu.
Mais quel parcours !
Il est né à Nîmes le 6 septembre 1900. Alors qu’il est encore un jeune enfant, son père Jean-Baptiste émigre en Amérique du Sud puis au Texas où il devient chercheur d’or. Marc ne le reverra jamais, comme son frère Jean, parti à l’aventure en sa compagnie. Sa mère, Marie-Louise, élève seule Marc et sa sœur aînée. Il va à l’école publique, passe le certificat d’études primaires. L’argent est rare et la vie dure.
 Alors qu’il a treize ans, sa mère meurt de la tuberculose.
 Il exerce à partir de ce moment à peu près tous les métiers manuels et autres comme celui de vérificateur de la liste des numéros gagnants de la Loterie nationale.
 Et pourquoi pas devenir écrivain !
En 1929, Marc Bernard publie à la NRF son premier roman et devient critique littéraire. Son œuvre se constitue d’un nombre important de livres dans tous les genres de la littérature avec une interrogation permanente sur ses propres traces à partir de ses manques et de ses espoirs.
Un jour, on lui demande : Comment êtes-vous devenu écrivain ?
«Peut-être, me suis-je dit, écrit-on comme on rêve, peut-être écrivons-nous parce que la vie ne nous satisfait pas entièrement et qu’il nous arrive de vouloir prendre sur elle une revanche (1) 

(1) Christian Estèbe, Petit exercice d’admiration, Finitude

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