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Et la lumière fut de Jacques Lusseyran

  Lusseyran

  Dans le cadre d’une autobiographie exceptionnelle, Jacques Lusseyran raconte son vécu d’homme frappé accidentellement de cécité à l’âge de huit ans. A la façon d’un anthropologue, il explore les bouleversements engendrés par la perte de sa vue, analysant les recoins de sa conscience, mobilisant ses quatre sens intacts afin de recomposer sa relation avec ceux qui ont disparu de son regard. A cet égard, il bénéficie, d’un entourage familial à l’écoute avec des parents intelligents et aimants.
 
  L’accident survient le 3 mai 1932, à dix heures, lors d’une bousculade à l’école. Les yeux de Jacques percutent l’un des angles aigus du bureau du maître et il perd la vue. «  C’est alors qu’un instinct (j’allais presque dire : une main se posant sur moi) m’a fait changer de direction. Je me suis mis à regarder de plus près. »

  A partir de ce changement extrême, Jacques se met « à regarder de l’intérieur, vers l’intérieur de lui-même. » Inondé de lumière et de couleurs - il vit au-dedans et il vit au-dehors - sa vie d’enfant devient une sorte de laboratoire où il farfouille à la recherche de nouveaux repères. S’il ne voit plus les personnes de son entourage, son ouïe prend le relais et lui permet de savoir, selon les tonalités de la voix, la nature de la personne qui s’adresse à lui.

  Avec l’épreuve de sa cécité, Jacques compose ou recompose avec la vie extérieure disparue. Il va à l’école. Il se veut « un aveugle voyant, qui vit parmi les voyants ordinaires. » Sa seule affaire est de se sauver. Un ami, Jean, va devenir son confident.

  C’est en Braille, qu’il suit l’école primaire puis le lycée. Elève brillant, d’une intelligence au-dessus de la moyenne, il se présente au concours de l’école normale supérieure de la rue d’Ulm où il a toutes les chances de sortir agrégé. Simplement, il y a la guerre 39-45 et Abel Bonnard, un  ministre de Vichy qui lui interdit l’épreuve en tant qu’aveugle.

  Parallèlement à ses études, il entre dans la résistance et fonde avec des camarades le réseau Défense de la France. Il est dénoncé et emprisonné six mois à Fresnes. Il est déporté en 1944 à Buchenwald. Il en sera libéré par les Américains en avril 1945.

  Voilà pour les faits notoires racontés dans le livre, mais l’intérêt de l’autobiographie de Jacques Lusseyrand tient dans l’exploration de sa capacité à rebondir dans la traversée des épreuves les plus horribles par le fait de son incroyable force d’esprit et sa précocité vis à vis du sens de la vie. Il fait très tôt la découverte de la pleine conscience de soi, comme un refuge où se retrouver et se ressourcer. A Buchenwald, placé  au  bloc des invalides où l’on meurt «  à un rythme qui rend le recensement du bloc impossible », il tombe gravement malade. Trop faible pour marcher, il rampe, avec ses mains qui vont « d’un moignon à un cadavre, d’un cadavre à une plaie ». Condamné à mort faute de soins, il ressuscite par la joie interne qui le fait vivre, rejetant « la peur qui fait mourir. »

  Ce renversement bouleversant tient du miracle. Jacques identifie une voix nichée au fond de son esprit, la voix de cet « Autre » qui « s’adresse à lui et s’occupe de lui. »

  Et puis, il y a le destin d’un homme. Béni des dieux avec une enfance riche, si riche, trop riche, à l’intérieur de laquelle il faut mettre un coup de frein, sur le trop…  « Toute mon enfance s’est passée à courir… j’allais de confiance en confiance comme dans une course de relais ».

  Jacques se tient sur un petit perchoir marginal avec la chance de bénéficier d’une protection familiale hors du commun : « Mes parents, c’était le ciel ! »

  Et comme si les choses immanquablement  se rejouaient, comme si une nouvelle fois il y  avait une abondance de « trop » - vénéré par ses pairs et titulaire de la chaire de littérature française à l’université de Hawaï -, il meurt, avec sa troisième femme, dans un accident de voiture à l’âge de quarante-six ans… une sortie de route dans un virage dangereux.

  Et la lumière fut, est un livre phare, si éclairant sur la nature des pensées souterraines qui gouvernent nos vies. Comme si nos passages existentiels étaient déjà tout tracés. Comme si nous n’étions que les agitateurs de nos croyances illusoires. Malgré tout, nous raconte Jacques Lusseyran, il est possible de découvrir l’intérieur de soi-même avec le courage et l’amour de la vie, car « la joie ne vient pas du dehors. Elle est en nous quoi qu’il arrive. La lumière ne vient pas du dehors. Elle est en nous, même sans les yeux.

Patrick Ottaviani (août/2018)

 

Couverture 2

Edition originale La Table Ronde 1953

 

 

Lusseyran avec sa femme et camusJacques Lusseyran avec son épouse et Camus

 

Couverture 3

 

"Il y a une réalité : c'est que nous pouvons accueillir la vie. Ce droit nous l'avons. Nous avons la lumière, si nous ne la refusons pas et nous pouvons, avec elle, éclairer toutes choses...."
Jacques Lusseyran