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Dixième étage

DIXIEME ETAGE

Le baiser Francis Denis

 Il m'a enfermée dans son cellier, une pièce minuscule et sans fenêtre.
Nous sommes au dixième étage et je suis seule et désemparée.

Lorsque je lui ai dit que je le quittais, il est entré dans une rage folle. Il m'a giflée puis m'a emmenée de force jusqu'ici.
Il m'a à moitié déshabillée, s'est frotté contre moi, a commencé à glisser sa main dans ma culotte puis s'est relevé d'un coup et est sorti en claquant la porte avant de la refermer à double tour.
Je l'ai entendu crier de rage puis plus rien, le silence absolu.
Je sais qu'il est capable de tout.
Il me désire mais ne m'a jamais aimé. Je crois même qu'il me hait.

Nous nous sommes rencontrés un samedi soir dans une boîte de nuit où je mettais les pieds pour la première fois.
Je déprimais.
Lui aussi semblait à la dérive.
Il m'a offert un verre.
J'ai accepté.
Il avait l'air gentil, un peu paumé mais l'air gentil.

Nous avons parlé longuement, de tout et de rien, de notre enfance, de notre mal-être et de nos espoirs déçus.
Son discours collait étrangement au mien mais j'étais alors incapable du moindre recul et buvais ses paroles tout aussi facilement que les verres de whisky qui défilaient sur le comptoir et m'embrumaient peu à peu l'esprit.

J'avais eu l'impression d'avoir rencontré une âme sœur plus qu'un prince charmant. Mais les choses avaient rapidement évolué et au petit matin, je m'étais retrouvée nue dans son lit, encore toute imprégnée du brouillard de la nuit, avec un goût fade dans la bouche et le ventre malmené. Mes tempes scandaient encore les battements sourds de la sono et je ne me souvenais même plus de son nom.
Il n'était qu'un inconnu à mes yeux. Un inconnu qui avait pris possession de mon corps sans partage ni plaisir.
C'est ainsi que s'établit notre relation et ce que certains s'évertueraient à appeler « une belle histoire d'amour » !
Je ne sais ce qui m'a empêchée d'en rester là et pourquoi je me suis entêtée à vouloir construire une histoire qui n'en était pas une.
Les semaines ont passé et je me suis vite lassée de ce compagnon imposé par le hasard avec qui je ne partageais que le lit et de sombres délires qui, irrémédiablement, m'éloignaient chaque jour un peu plus de lui.
Rapidement, l'impression d'être tombée dans un guet-apens est devenue une évidence à mes yeux. Ce qui m'a tout naturellement poussée à lui annoncer mon désir d'en finir et à la situation actuelle...

Me voici maintenant cloîtrée et fragile, promise à je ne sais quel horrible destin, devenue le jouet d'un esprit malade, d'un être qui m'est en fait complètement inconnu et dont le vrai visage vient de se dévoiler brutalement.

***

La notion du temps se dissout dans le silence et l'obscure torpeur où je baigne.
Les seuls bruits qui me relient au monde des vivants sont les propres battements de mon cœur et les coups de butoir de mon sang qui s'écoule dans les veines de mes tempes.
Je préfère encore cela aux éclairs de lumière qui déchirent ma nuit lorsqu'il s'introduit avec violence dans mon espace et encore plus violemment dans mon corps.
Il me prend par où bon lui semble puis me jette comme une vieille éponge sur le sol maculé.
Mes cris et mes pleurs ne l'ont jamais affecté.
C'est un monstre, une bête immonde assoiffée de sexe et de chair et qui n'a plus aucune considération pour l'humain. Il se vide en moi comme une outre glapissante, chaude et visqueuse. Sa peau sent l'âcre et la sueur. Il s'agite frénétiquement en me bloquant de ses larges mains jusqu'à ce que son sperme me brûle de l'intérieur et m'inonde de partout.

Je reste ensuite abandonnée, violentée, la peau et l'âme souillées, ravalant mes sanglots, traumatisée, déchirée, n'ayant plus que l'innocence de l'enfance comme seul refuge.

Je suis prostrée dans mon coin et fredonne une chanson d'autrefois, du temps où ma mère me prenait dan ses bras.
Je m'accroche désespérément à des images du passé pour ne pas sombrer dans la folie du présent.
Étrangement, Les sentiments de honte et de révolte ont vite laissé place à une certaine résignation mêlée d'amertume et d'incompréhension.

Je ne sais plus vraiment qui je suis ni pourquoi je suis là. Je suis un objet sans âme qu'on utilise à tout rompre, une source de jouissance que l'on exploite jusqu'à épuisement, une espèce de poupée gonflable vivante, un exutoire à l'appétit démesuré d'un détraqué sexuel.

Je rêve qu'il plonge la tête dans mon entrecuisse, pénètre en moi jusqu'aux épaules.
Je referme alors d'un coup sec mes jambes qui claquent tels deux enclumes et sa cervelle gicle sur ma peau et sur mon ventre, me libérant ainsi à jamais de mon bourreau. 

***

Il m'a lavée. Il m'a lavée au jet comme on lave un trottoir ou une auto. Puis il m'a gavée, comme l'on gave une oie... De peur sans doute de me voir lui échapper définitivement, de perdre sa chose, sa machine à plaisir, sa pourvoyeuse de septième ciel !

Dixième étageIl pense m'avoir domptée, avoir brisé toute fierté en moi et m'avoir privée définitivement de toute once d'humanité. Mais mes rêves entretiennent ma rage et m'exhortent à la vengeance.

Maintenant que je suis propre et de nouveau utilisable, il me pousse dans l'angle de la pièce puis baisse son pantalon pour me pénétrer à nouveau.
Il se sent si fort...
Je lui laisse croire qu'il se trouve en terrain conquis. Je m'abandonne, docile et presque conciliante.
J'en viens même à faire preuve d'une certaine effervescence qui le transporte et brouille ses facultés... De nouveaux gestes, de nouvelles caresses, mes lèvres et ma langue qui se déplacent sur les parties les plus intimes de son corps.
Il est au bord de l'extase et ne perçoit pas le bord du gouffre dans le quel je vais le précipiter.
Oui ! Encore. Encore...
Sa voix a perdu toute virilité et ressemble à une vielle trompette qui couine.
Il est si ridicule, si ridicule et si faible en cet instant !

La bouche grande ouverte je croque à pleines dents au bas de son ventre et lui arrache d'un coup tout son appareil.
Je recrache cette bouchée sanguinolente alors que mon bourreau, cette victime, me regarde les yeux ahuris et la main fouillant vainement à la recherche de son trésor perdu.
Je me précipite alors hors de la pièce, écrasant ses doigts grotesques dans la porte que je viens de refermer. Je pousse le verrou avant de tourner la clef dans la serrure, signant ainsi mon retour à la liberté.

Je longe le couloir qui me paraît interminable et me mène droit vers le monde !

***

Le monde.
Le monde est là.
La rue est immense.
Tous me regardent sans comprendre, apeurés, horrifiés, indignés...

J'aperçois mon reflet dans la vitrine d'un magasin.
Je suis nue et ensanglantée.
Pleurant comme un bébé qui vient de naître.

(Francis Denis 10/2012)
Illustrations de l'auteur 


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« Je ne peins pas pour faire beau mais pour faire vrai »

Voilà résumée en une seule phrase toute la sincérité artistique de cet artiste. Peintre de méditation, artiste ayant foi dans sa puissance expressive, Francis DENIS fait vivre la couleur dans ses compositions qui résument le motif à l’essentiel. La ligne, mise en forme avec simplicité, sublime le sujet dans une mise en scène axée sur l’harmonie des formes. Empreinte d’une certaine naïveté, cette peinture dégage à la fois puissance, sensibilité et sensualité, parfois imprégnées d’un certain mysticisme.

Et puis, il y a le plaisir. Le mien, le vôtre, j’espère. Plaisir de voir, et bien sûr de rêver. Francis DENIS nous rappelle que l’art est en nous. Dans la vision que l’on a de ce qui nous entoure. Dans notre capacité à percevoir ce qui est original, éphémère et parfois éternel. L’émotion. (Alain Durand)

Homme à la marguerite